Lettre en morceaux à Louis Leackey 2

Mardi 4 août 2015

Docteur Leackey,

Je crois qu’on atterrit accidentellement dans un métier, une pratique artistique ou une discipline scientifique. Ce qu’on y fait, ce qu’on y cherche, ce qu’on combat, c’est ça qui nous appartient. On le fera dans n’importe quel domaine. Ailleurs mais pas autrement.

Ainsi si vous n’étiez pas né au Kenya dans ce laboratoire archéologique, peut-être auriez vous été autre chose. La quête de l’origine, vous l’auriez pratiqué en étant pasteur, linguiste ou biologiste.

Voilà pourquoi j’aimerais qu’on ne demande ce que je cherche, ce que je combats, ce que je défends. Plutôt que de me demander si je suis anthropologue, écrivain, journaliste ou artiste.

Qu’on me demande mon rythme. Vous savez, chacun a un rythme de vie dans lequel il s’épanouit. Certains ont besoin de régularité et de repères, certains virevoltent et d’autres foncent. Certains errent sans cesse et ne s’ancrent nulle part. Et puis d’autres font des va-et-vient. C’est ça, je crois, qui m’a avant tout séduit dans l’anthropologie : d’abord avoir une intuition, une curiosité, puis lire et se documenter. Partir sur le terrain, revenir, prendre du recul, écrire et repartir. Des expériences totales dans un constant va-et-vient : le terrain, le vécu, l’immersion dans un milieu étranger, le corps qui ne comprend pas ce qui lui arrive. Une autre langue, des goûts et des couleurs qui chatouillent les sens. Et puis le silence de la chambre, les carnets et les souvenirs, les questions qui trouent la tranquillité.

Bien d’autres métiers permettent de vivre à ce rythme. Les grands reporters, les écrivains voyageurs, les photographes, tous ceux qu’on pourrait aussi appeler des chercheurs. Ils vont sur le terrain chercher quelque chose, et puis ils rentrent dans leur nid et le mettent en mots, en pensée, en calcul, en image.

Trouver le rythme de sa vie… Parce que c’est bien le rythme qui fait qu’une mélodie est une valse, un reggae, un rock ou une fugue. Et tout le reste est littérature. L’histoire qu’on se raconte.

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