Lettre en morceaux à Louis Leackey 3

Mercredi 5 août 2015

Cher Dr Leackey,

Vous qui avez gratté le temps, le dos plié et les ongles pleins de terre, vous en avez mis du temps pour trouver ce que vous cherchiez… trente ans. Comment s’obstiner pendant trente ans à chercher de nouveaux sites, à faire de nouveaux trous ? À se dire que c’est là, quelque part sous la terre. Quémander les bourses, l’argent de sa femme et de sa mère, quitte à faire de sa famille une armée au service de la cause. Dans le monde de la recherche, dix ans de travaux c’est encore la jeunesse du scientifique.

Mais vous avez pu commencer jeune. Regardez-nous aujourd’hui, Dr Leackey. Nous ne commençons à travailler qu’à trente ans. Nous vivons dans un monde pour lequel on ne nous avait pas préparé. On nous avait dit : telle école, tel diplôme, pour devenir ceci ou cela. Mais tout ce qui travaille sur l’humain dans ce temps long, s’essouffle aujourd’hui. Les reportages de longue haleine, les recherches en sciences humaines, les artistes voyageurs. Quand ceux qui ont réussi à en faire leur vie m’accordent un café, ils me disent : « Quand j’ai commencé c’était bien différent, aujourd’hui on n’embauche plus. » Ils tardent à partir à la retraite et ne seront pas remplacés. Ils nous parlent d’un temps que les moins de trente ans… payent le café et nous souhaitent bonne chance. On rentre chez soi et on dessine une croix face à leur nom sur la liste.

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