Rentrée : l’urgence de se dire autrement

Il n’est pas d’usage de présenter ses voeux à la rentrée de septembre. Pourtant, c’est à ce moment de l’année que tout recommence vraiment. Les écoliers ouvrent les pages de leurs cahiers flambant neufs, les commerçants ont réorganisé leurs rayons, les travailleurs de bureau réorganisent leurs dossiers, les chercheurs d’emploi impriment leurs CV mis à jour. Les nouveaux emplois du temps se dessinent.

Que peut-on souhaiter à une société qui a connu cette année les cris de colère des mouvements sociaux, l’effroi et les larmes des attentats, le désarroi et la méfiance devant les milliers de réfugiés qui affluent, l’ébranlement d’une Europe qu’on croyait inchangeable, le bouillonnement de la COP21, et l’étonnement émerveillé du succès du documentaire Demain (Cyril Dion, Mélanie Laurent) ?

Savez-vous où…

Cette année, j’ai entamé le premier tour d’un pays magnifique. Dans des petits hameaux de ses montagnes, dans le coin de ses vallées, dans les banlieues de ses villes, j’ai rencontré des gens qui cultivent l’extraordinaire dans leur quotidien. Des gens hors système, hors norme, qui ont choisi de pratiquer leur métier autrement, faisant fi des chemins tout tracés. Dans quel pays trouve-t-on ces gens-là, me direz-vous ? Et bien, au risque de vous étonner, en France.

plusbeauSavez-vous où est né un mouvement qui, pendant trois mois, a réuni chaque jour, dans les villes comme dans les plus petits villages, des gens de tous les âges qui avaient oublié comment se parler et discuter ensemble de leur société ? En France.

Savez-vous par qui a été réalisé un documentaire qui aujourd’hui est acclamé dans le monde entier comme inspirant un changement concret et profond, qui est parti d’une levée de fond sur internet, pour arriver aujourd’hui à l’ONU et à décrocher un César ? Par des Français.

Savez-vous dans quel pays des paris médiatiques fous réussissent, comme celui de créer un média libre et indépendant en ligne financé par ses lecteurs, un hebdomadaire papier où n’écrivent que des sociologues, philosophes et écrivains, un site où l’enquête à long terme se raconte en récit, ou encore une revue trimestrielle papier remettant à l’honneur le grand reportage écrit ? En France : Mediapart, Le 1,Les Jours, XXI, pour ne citer que ceux-là.

 

Se raconter autrement

Il serait peut-être temps de se regarder par une autre lorgnette que celle que les médias de masse nous tendent.

Parler autrement de cette société française, telle me semble l’urgence, et la nécessité première. Parler autrement de cette génération de la crise et du chômage, une génération pleine de potentiels qui ne demande que l’espace pour le faire advenir.

Parler autrement de cette société métissée, construite par des siècles d’immigrations successives et entremêlées, qui donne pourtant l’image d’une société de racisme et de guerre civile. Un jour, un jeune canadien me dit : “En France, si tu es Arabe ou Noir, tu n’as pas de travail.” Un autre me dit : “Il y a une guerre contre les Musulmans en France”. Voilà l’image que nous projetons. Pourtant nous savons que la réalité quotidienne est beaucoup moins simple et beaucoup plus variée.

Parler de ces gens qui, en faisant des choix de vie courageux, conformes à leurs valeurs, vivent heureux, en harmonie avec leur lieu de vie, leur entourage et leur métier. Ils existent partout en France.

Parler de la capacité d’entraide et d’écoute des Français, qui n’enlève rien à leur verve et leur passion du débat. Avec toutes les critiques qu’on peut faire à Nuit Debout, ce mouvement a montré que cela était possible.

Alors pourquoi sommes-nous encore le peuple le plus déprimé, le plus consommateur d’anti-dépresseurs, le plus pessimiste sur l’avenir, l’un des pays que les jeunes veulent le plus quitter ? Peut-être tout simplement parce que nous ne nous laissons pas la chance de nous représenter à nous-mêmes autrement. Chacun prend la responsabilité de choisir les médias par lesquels il se fait une idée de la société dans laquelle il vit. Nous sommes responsables. Mais la responsabilité n’est pas un poids. Au contraire, c’est une promesse de libération, puisque si nous sommes responsables, alors nous pouvons changer les choses. Voilà une position bien plus confortable que celle de se complaire dans la plainte et la critique, ô combien légitime, de nos dirigeants politiques.

Il ne tient qu’à nous de sortir de l’étricage dans lequel les médias peu frileux nous tiennent en haleine, entre la peur, le déni et l’abrutissement. Il ne tient qu’à nous téléspectateurs, lecteurs et auditeurs, que ces médias ne soient plus de masse. Qu’on se tourne vers ceux qui nous montrent les visages cachés de notre société.

Il s’agit d’être fier. De retrouver une fierté ouverte sur le monde et ouverte sur soi dans sa complexité et sa richesse. Une fierté qui n’entengendrerait pas le syndrôme post-colonial pour lequel les Français sont bien connus à l’étranger. Tout n’est certainement pas mieux en France qu’ailleurs, mais tout n’est pas pire. Et si nous voulons améliorer notre société, la première étape ne serait-elle pas de repérer les terreaux fertiles où planter les semences d’un changement ? Un changement qui pourra être inspiré par d’autres pays, et qu’il nous faudra traduire pour le nôtre.

Changer le regard que nous portons sur la société. Même sans y croire, juste pour essayer. Pour donner une chance à ces jeunes journalistes, photographes, artistes, entrepreneurs, qui réinventent leurs métiers, en cherchant à revenir près des gens et à respecter la nature. Ces jeunes se comptent par milliers, et tous les jours ils frappent à vos portes, public, lecteurs, rédacteurs en chef, directeurs de festivals, mécènes, partenaires financiers. S’ils décidaient de partir ou d’abandonner, ce ne sera ni par manque de courage ni par fainéantise, mais parce que la magnifique société qui les a engendrés est bien capable de les ignorer.

 

Sarah Roubato a publié

couv Nage de l'ourse

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