Trio Populaire : raconter sans mots

mafalda9

« Je ne sais pas quoi dire », « Je n’avais pas de mots pour exprimer ceci ». On voudrait parfois trouver d’autres langages pour dire ce qu’on ressent, la beauté d’un paysage, l’émotion d’une soirée, la magie d’une rencontre. Et parfois on trouve ce qu’on a ressenti dans quelque chose qui vient de loin. Un masque africain, un rythme de l’autre bout du monde, racontent soudain ce qu’on a ressenti dans notre plus stricte intimité.

Sur les programmes et le site du Trio Populaire, la photo de trois copains qui éclatent de rire. Une photo bien banale, même floue, prise sur le vif, dans un moment de relâchement. Et pourtant, quelque part au milieu de cette complicité informelle, a émergé une musique qui nous porte bien loin et nous touche encore plus.

Le Trio Populaire, grand gagnant du Prix de la Diversité 2013, était en spectacle à l’espace Georges Émile Lapalme de la Place des Arts jeudi 24 mars, et à l’Église St James of Apostle le samedi 26.

Trouver une autre grammaire

Pour inventer un langage, il faut d’abord trouver une grammaire. On prend un instrument et on le fait danser coup sur du sable, sur des cailloux, sur des sentiers inconnus. Le sable, les cailloux, les différents sols, c’est la guitare de Joe Mallat. La danseuse, c’est la clarinette de Pierre Emmanuel Poizat. Et le rythme qui la fait vibrer, ce sont les percussions de Tacfarinas Kichou. Leurs trois paires de mains qui pointent vers la terre, vers le ciel ou qui tracent un horizon, et surtout, des sourires complices.

L’adjectif « virtuose » vite lâché pour qualifier des artistes, fait souvent oublier ce que la virtuosité nous transmet. La clarinette de Pierre Emmanuel est tantôt sensuelle, coquine, lyrique, elle sautille parfois si haut entre les aigus et les graves qu’on croirait que deux instruments se répondent. Les percussions de Tacfarinas donnent du relief à toutes les pièces, on attend, on est en suspend, on retombe, on s’emballe. La guitare de Joe fait le pont entre la mélodie et la percussion, puisqu’elle a la chance d’être à la fois un instrument mélodique, percussif et harmonique. Elle suit tantôt la danseuse dans ses envolées, tantôt elle soutient le rythme et la laisse danser seule. Voilà ce que ça fait, la virtuosité. Tout ça pour trouver une grammaire à eux sur les différents langages que sont le klezmer, le jazz, la musique berbère, flamenco, brésilienne et tzigane. Et bien sûr, leurs pièces originales vont bien au-delà d’un simple mélange d’influences musicales.

Se faire son petit film

Les pièces du Trio Populaire vivent comme des petits films. On est loin de la pièce folklorisée qui part un rythme exotique et on sait comment ça finira. Non, on veut suivre, qu’est-ce qu’il se passe après ? Un début sensuel et mystérieux, une envolée lyrique, des changements de rythme inattendus. Il suffit de fermer les yeux et on se fait notre petite scène. Le Trio Populaire a utilisé la variété des styles pour créer des pièces qui accompagneraient parfaitement des films muets, car chaque pièce est une petite histoire sans mots.

Les trois musiciens sont suffisamment humbles sur scène pour ne pas faire un spectacle de leur virtuosité. C’est bizarre, ils ne grimacent pas ? Est-ce que ce serait facile ce qu’ils jouent ? Non, au contraire. C’est que leur virtuosité première c’est d’arriver à faire partager, à transmettre sans imposer. Leur musique nous ouvrent les chemins de notre imagination, avec comme porte d’entrée le titre des pièces : « Au petit marché », « Un chameau à New York ». À nous de construire notre marché et notre animal qui ne se sent pas à sa place. C’est bien ça, ce qu’on demande à la musique instrumentale.

Dans les influences qu’ils ont choisies, la douleur côtoie toujours la joie, chaque tradition avec sa propre manière de les exprimer. Ces artistes de musique dite « du monde » sont souvent réduits au rôle de divertissements exotiques, pour danser s’amuser et se réchauffer. Ils nous offrent rien de moins que la chance de nous retrouver dans d’autres langages. Il nous suffit d’être aussi généreux qu’eux dans notre écoute, pour vivre une profonde expérience et comprendre à quel point ils sont précieux.

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