Gypsy Kumbia Orchestra : quand la liberté est communion

 

Vendredi dernier, en clôture du festival Mundial Montréal, Gypsy Kumbia Orchestra nous a offert une soirée exceptionnelle au Club Soda, Le retour des bigs bands : Gypsy Kumbia Orchestra and Lemon Bucket Orchestra. Depuis deux ans, GKO se taille une place unique dans le paysage montréalais. Pourquoi ? Parce qu’ils sont décidément autre chose qu’un groupe qui réunit la musique gypsy des Balkans et la musique cumbia de Colombie. Et parce que l’expérience d’aller voir GKO va au-delà du simple concert.

 

Un mondo en libertiti

Au début du spectacle, le personnage qu’incarne Sebastian Mejia, percussionniste, chanteur, et cofondateur du groupe avec Carmen Ruiz, chorégraphe et danseuse, se met à parler un italien imaginaire, à la manière des formules de début des contes qui modifient toujours la langue pour en créer une nouvelle et ouvrir l’espace de l’imaginaire : « Corrupcion… destruccion… represion… nuestra solucion : dansari ! » C’est là l’idée maîtresse du projet GKO, et qui en fait plus qu’un groupe de musique : un collectif qui propose de refonder les liens sociaux, qui « cherche à briser de façon ludique et inclusive les concepts d’individualité et de concurrence qui gouvernent nos sociétés » (Girovago, maison de production de Carmen et Sebastian, http://artgirovago.blogspot.ca).

On ne décrira plus la frénésie des musiciens et des danseuses, les chorégraphie et les couleurs, la folie et la virtuosité. Mais GKO c’est autre chose que des couleurs et du bruit. GKO nous donne une impression chaotique voulue, basée sur le principe des improvisations dirigées, au sein d’une chorégraphie bien établie mais qui s’adapte aux différentes scènes. La danseuse à la jupe ample démarre des mouvements langoureux, et puis rompt son mouvement et tombe à terre. Certains mouvements sont presque africains, jambes écartées et mouvements du bassin, proche de la transe. Les costumes sont assortis, mais asymétriques, et aucun ne se ressemble. Les jupes longues voisinent avec les camisoles, les chapeaux avec les coiffures déjantées. Et pourtant il sort de tout ceci une rare communion.

 

La liberté de chacun dans la communion de tous

Voilà que la trompettiste s’avance et que la danseuse tourne autour d’elle, voici la danse des violons, chacun avec sa danseuse, à tour de rôle, chacun dans son langage mais pris dans la même énergie. Les lignes se défont, les groupes se reforment. GKO renoue avec des traditions où la musique et la danse ne sont pas séparées, où elles ne sont même pas envisagées comme deux disciplines distinctes. Dans GKO chacun répond et réagit aux autres, comme dans le flamenco où les musiciens forment un cercle autour de la danseuse pour l’encourager.

Et le public est appelé immanquablement à participer au-delà de ce à quoi il est habitué. Il doit se rapprocher, se resserrer. Juan lance un atelier en trois parties : 1. Hurler son nom à l’univers, 2. Se serrer dans les bras soi-même et dire qu’on s’aime, 3. Serrer son voisin dans ses bras. Ce mini rituel rejette les bases du lien social : prenons conscience de notre existence dans l’univers, aimons-nous, tournons-nous vers notre voisin.

La liberté que défend GKO n’est pas celle du choix individuel égoïste : elle est la liberté de l’individu qui se sent appartenir à quelque chose de plus grand et qui fait corps avec les autres. Chacun est happé par cette énergie qui le dépasse, il fait partie d’un corps collectif où chacun conserve pourtant son individualité, sa chorégraphie. Chacun devient l’expression de ce que le tout a engendré en lui. Cette liberté et cet esprit de communion, GKO l’entretient aussi hors de la scène, dans sa manière de travailler.

 

Un collectif indépendant

GKO est un collectif entièrement indépendant. Cela signifie que Carmen et Sebastian financent le cachet des dix-huit musiciens, la location d’un local, l’infographie, la costumière, etc. Le collectif se réunit plusieurs fois par semaine pour travailler ensemble et pour travailler en petits groupes (les cuivres ensemble, les violons ensemble). Aujourd’hui que le groupe a muri, la musique et la danse se travaillent spontanément en même temps. À Montréal comme partout, tout artiste porteur de projet sait qu’il est difficile de maintenir les musiciens à long terme et de façon régulière, car les musiciens ne vivent que de leurs cachets et doivent jongler entre plusieurs projets, quand ce n’est pas avec des jobs alimentaires. GKO réussit pourtant à garder ses musiciens fidèles depuis le début, et à intégrer de nouveaux venus, car le groupe remporte un franc succès qui assure aux musiciens un cachet, mais aussi parce que GKO est en mouvement permanent, offrant aux musiciens de challenger leur créativité en permanence. Car ici, les musiciens ne sont pas de simples figurants qui accompagnent des danseuses. Ils ont des corps et des visages pour exprimer des émotions humaines. Et enfin, GKO est une vraie famille. Leur tournée en Colombie en janvier dernier a amené trente personnes à la rencontre des locaux, des enfants et des festivals de rue de ce pays.

 

Autre chose que du divertissement

Voilà pourquoi GKO a aussi un grand défi au-devant de lui : celui de préserver cette liberté et cette indépendance, et de ne pas se faire happer par l’industrie du divertissement et de la folklorisation des groupes de musique dits « du monde ». Car GKO est le contraire du divertissement : le public est engagé totalement, dans un esprit de fête proche des traditions culturelle de beaucoup de pays. Ils sont colorés, ils sont exotiques, ils remplissent les salles, et ils sont des candidats tout désignés pour être enfermés dans les cases de l’industrie de la World Music.
Ce bijou montréalais s’en va prochainement explorer New York. Au club Soda ils nous ont montré les possibilités incroyables de collaboration avec des artistes de cirque.

Carmen Ruiz a rappelé en introduction de la soirée au Club Soda que c’est grâce au public que cette soirée a été possible. GKO est un groupe à aller voir, à soutenir de notre présence, mais aussi à préserver, car c’est, au-delà d’un spectacle fabuleux, un vrai projet de société et de lien entre les individus qui est ici en jeu.

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