Mon école imaginaire

C’est la rentrée au Québec. Pour les élèves de secondaires, c’est le moment des choix : option, concentration, cours. Qu’est-ce qui me plaît ? Mais comment faire le bon choix si on ne sait pas pourquoi on apprend une matière, comment et dans quel but ? Pourquoi apprendre ? Pour avoir un diplôme pour en avoir un autre pour avoir un job ? Il doit y avoir d’autres raisons.

Le plus important n’est peut-être pas le choix des matières, mais  ce qui se passe entre le professeur et les élèves. Car toute matière peut devenir la pire des tortures ou un monde fascinant qui s’ouvre. Tout peut devenir un instrument de soumission ou de libération. Je me donne un exercice de rentrée scolaire : dessinez votre école idéale.

Quel est le langage où je me retrouve ?

Dans cette école, ce qu’on appelle les arts seraient mis à égalité avec les sciences. Apprendre à exprimer ses idées et ses émotions, en explorant plusieurs langages : littérature, théâtre, musique, peinture, sculpture, photographie, cinéma…L’apprentissage de ces arts ne seraient pas réduits à l’aspect technique. Avant d’apprendre à faire do ré mi fa sol la si do sur la flute, je veux que mes élèves sachent entendre la joie, la tristesse, la peur, dans une musique.

Cours d’expression. Sujet du jour : la peur. Qu’est-ce que la peur ? À quels mots est-elle associée ? Comment les poètes et chanteurs l’ont exprimées ? Prenez un instrument de musique, faites moi la peur. Levez-vous : mimez-moi la peur. Exercice à deux : tu es la peur de l’autre. Que fais-tu ? Tu la combats ? Tu la cajoles ? Tu la prends par la main ?

Le but n’est pas que les élèves sachent faire un poème qui rime ou sachent faire leur gamme de do. Le but est qu’ils trouvent un langage dans lequel ils se sentent à l’aise à s’exprimer.

Les langues sont des outils pour communiquer, penser, vivre. Dans cette école, aucune langue ne serait enseignée par une liste de mots. Tout passera par des mises en situation, des petites scènes à jouer, des chansons à écouter.

Ce que tu apprends, c’est ce que tu vis 

Mais à quoi ça sert d’étudier Le Misanthrope ou Don Quichotte ? Et si on commençait par dire aux élèves que ça parle d’eux, de chacun de nous, avec les questionnements propres à l’époque et ceux qui traversent tous les âges ? Si on leur montrait que ces lectures peuvent les aider à faire des choix de vie ?

Dans mon école imaginaire, je me fiche de savoir si tu peux réciter identifier les étapes d’un schéma narratif. Ce que je veux, c’est que tu saches raconter une histoire. Si tu sais identifier la thèse, l’argument, le contre-argument et l’ouverture, ça n’a que peu d’importance. Ce qui est important, c’est si tu les chercheras en regardant le prochain débat des chefs. Tu sais souligner les mots qui forment le champ lexical d’un texte ? Bravo, tu as fait l’exercice. Mais penseras-tu à le faire en lisant un magazine, pour comprendre sa ligne idéologique, et mieux orienter ton choix de lecture ?

Tout ce qui est enseigné en classe doit être susceptible d’être observé en dehors. Et puisque nos enfants sont déjà de petits – pardon, de puissants – consommateurs, je les emmènerai en sortie visiter les abattoirs, les cultures maraîchères, les usines. Pour qu’ils sachent ce qu’il y a derrière ces produits auxquels ils sont parfois si attachés. Autant que les musées et les pièces de théâtre, ces visites sont essentielles pour qu’ils comprennent le monde dans lequel ils auront à vivre.

Travailler, c’est chercher à s’émerveiller davantage

Dans mon école imaginaire, celui qui ne sait que transmettre un contenu ne sera pas professeur. Le professeur est le canal par lequel l’enfant s’engage pour découvrir une manière de penser le monde. Il est aussi un performateur, un comédien, un conteur. Son travail est de prouver en permanence à l’enfant que les chiffres, les mots, les émulsions, peuvent être sujet à émerveillement. Et que si apprendre, c’est s’émerveiller, travailler, c’est chercher à s’émerveiller davantage.

Mon but comme professeur n’est pas que l’élève sache régurgiter de la matière, mais qu’il sache s’étonner, s’interroger, s’émerveiller, mettre en perspective, retourner les évidences qui se présenteront à lui.

Bien sûr, une telle école restera imaginaire. Parce que la formation de tels professeurs demanderait la remise à plat de tout ce qui constitue nos programmes. Parce que ces professeurs devraient être tellement engagés, que plus personne ne pourra être professeur pour autre chose que par passion. Parce qu’il est toujours plus rapide de corriger des exercices à choix de réponse que de corriger une création. Parce qu’il est toujours plus facile de répéter la même matière chaque année que d’accompagner un élève dans un cheminement de réflexion.

Dans cette école imaginaire, quand les élèves viendront chercher leurs manuels, ce sera une fête.

à suivre…

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