What they say onstage

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Un spectacle transmission

Il est des spectacles qui dépassent le simple divertissement. Et qui deviennent des prétextes pour parler d’autre chose. Le spectacle Kattam et ses tam-tams en fait partie. Bien sûr on pourrait parler de l’énergie contagieuse de ce percussioniste connu de la scène des grands et des petits. De cette virtuosité qu’il arrive si bien à faire oublier par sa joie et son engagement émotionnel. On pourrait aussi parler de son impressionnante versatilité : les dizaines de percussions qu’il maîtrise, le chant, la danse, l’animation.

Mais devant la salle bondée d’enfants de la salle Piano Mobile de la Place des Arts, j’ai pensé transmission plutôt que performance.

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Kattam et ses tam-tams propose un voyage du continent africain à l’Inde, en passant par le Moyen-Orient, à travers la découverte des percussions. Un spectacle que Kattam a créé il y a six ans, et qui n’arrête pas d’évoluer. Selon les publics, selon les salles, et selon les défis que cet artiste se donne. Car Kattam joue partout : maisons de la culture, écoles, centres communautaires, parcs. On ne s’étonnerait pas de le voir quitter en hâte un plateau télé de Radio Canada ou une cérémonie de l’ADISQ pour aller donner un spectacle en garderie.

Apprendre par le corps

Aujourd’hui les enfants ont l’embarras du choix de leurs activités extrascolaires : musique, danse, sports, théâtre. Comme nous ne sommes plus à l’époque de « Tu fais ce qu’on te dit et tu te tais », les parents doivent toujours négocier : « Tu finis ton année avec la guitare et on verra l’année prochaine ». Déjà l’enfant veut arrêter. Parce que ce n’était pas le bon professeur, parce que son meilleur copain fait de la batterie, parce qu’il se rend compte que ce qui est le fun demande aussi du travail. L’équilibre est difficile à trouver. Pousser l’enfant sans le dégoûter, lui inculquer la persévérance sans le surcharger, reconnaître un vrai goût d’un caprice. Il est impressionnant de voir à quel point ces activités considérées comme périphériques, comme un « plus » dans la vie de l’enfant, révèle en fait tous les aspects de sa personnalité et de son rapport au monde : sa capacité à travailler en équipe, son instinct, sa créativité, sa timidité, son désir de se dépasser.

Capture d’écran 2015-12-05 à 20.10.43Les enfants ont une capacité d’apprendre par le corps que les adultes ont souvent oublié. Un enfant se met à pianoter, à gratter, à taper, à souffler dans un instrument, et à l’explorer sans rien connaître encore. Ses premières leçons de musique vont souvent arrêter cet élan pour lui apprendre les do ré mi et ses blan-che noire pointée. Tout passe par l’intellect et les mélodies « le canard près de la flaque » et « l’éléphant boum boum ».

Le spectacle de Kattam nous rappelle à quel point les enfants peuvent apprendre par le corps avant de comprendre. Tout au long du spectacle, les enfants sont invités par Kattam à venir essayer les djembés et balafons de Guinée, les darbukas du Moyen-Oient, le naffar le qaada du Maroc, le dhol d’Inde. Kattam leur montre le rythme, et les enfants répètent… presque parfaitement. Devant un parterre de centaines d’enfants. Chacun a déjà sa façon de jouer, et tout en imitant, s’exprime d’une façon unique.

La joie d’apprendre

Mais surtout, Kattam transmet aux enfants la joie d’apprendre. Il suffit de le voir jouer pour comprendre tout de suite que travail et plaisir vont ensemble. C’est aussi la joie de la découverte des instruments, associés à des pays, des couleurs et des sons. Kattam rappelle que les instruments ont une histoire et une culture. Pourtant, il n’enferme pas son spectacle dans une découverte de la tradition. Les sons électro fricottent avec les instruments traditionnels, et les mélodies de Stromaé avec les celles d’un griot africain. Quelle meilleure manière de faire comprendre aux enfants que l’ancien et le nouveau, le traditionnel et le moderne, peuvent nous parler et nous faire bouger tout autant ?

Capture d’écran 2015-12-05 à 20.12.14C’est aussi la joie de performer que les enfants découvrent. Les cours individuels de musique font souvent oublier aux enfants que comme tous les arts, la musique est avant tout une performance et un partage. Partage auquel les parents aussi sont conviés, puisque Kattam invite mère et fille à percussionner avec les pieds, l’enfant imitant sa mère. L’enthousiasme des enfants à lever la main pour venir sur scène montre bien qu’ils ont compris.

Dans un monde où l’enfant passe huit heures par jour sur une chaise d’école et beaucoup du reste devant un écran, toute activité qui l’encourage à utiliser son ouïe, son toucher, sa voix, sont précieuses.

Qu’on aime ou non les percussions et les régions que Kattam nous propose de survoler, ce spectacle mérite d’être vu par tous les parents qui se posent des questions sur l’apprentissage. Et pour ceux qui ne pourraient pas le voir… Kattam sort l’album du spectacle Kattam et ses tam-tams avec, bien entendu, des enfants qui chantent avec lui. Car il ne pouvait en être autrement.

Site de Kattam

 

 

What they say onstage

À quelques jours d’intervalle, je suis allée voir deux spectacles. Situés à deux pôles opposés, semble-t-il : Bibish de Kinshasa mis en scène par Philippe Ducros, et Le vagabond céleste du conteur Simon Gauthier. D’un côté une pièce adaptée d’un roman de Marie-Louise Bibish Mumbu, journaliste congolaise vivant à Montréal, racontant les guerres et les résistances de sa ville, Kinshasa. De l’autre côté, un homme qui troque sa maison contre une paire de bottes, et qui s’en va arpenter le monde, à la recherche de la poésie du quotidien.

À la lecture des toujours-réducteurs descriptions de spectacle, on pourrait vite catégoriser ces deux créations : une pièce de théâtre réaliste et sérieuse, un conte « à partir de 12 ans » plein de poésie pour s’évader.

Pourtant en sortant de ces deux spectacles, la même boule au plexus qui serre, et le même sourire intérieur qui se déploie. Avec Philippe Ducros, on vient de se prendre une bonne claque de réel dans la gueule, mais du réel mis en scène et mis à distance. Avec Simon Gauthier, une bonne lampée de poésie et de rêve, mais de ces rêves qui nous réconcilient un peu plus avec le réel.

Car Philippe Ducros et Simon Gauthier jouent tous les deux des frontières entre le réel et l’imaginaire. Écrivain des blessures coloniales, Philippe Ducros arpente les réserves amérindiennes, le Congo mais aussi la Palestine, pour rendre compte de ce qui ne se dit pas, de ce qui se cache sous l’écran médiatique : des réalités inacceptables, un colonialisme auquel participe pleinement le Canada. Lors de la première de La cartomancie du territoire, beaucoup de gens ont dit : « On sait tout ça, mais dit comme ça, ça nous fait autre chose ». Car l’écriture à la fois précise et puissante de Philippe Ducros permet de mettre des mots sur ce qui ne se dit pas. Des phrases tissées avec ceux qui acceptent de lui raconter.

entretien avec Philippe Ducros à écouter ici

Simon Gauthier aussi arpente le monde en écoutant les récits des autres. Et lui aussi récolte et transforme par le langage les histoires du quotidien. Son vagabond céleste, dont tout le monde s’attend à ce qu’il soit un personnage éthéré imaginaire, sorte de Petit Prince, est bien réel. Simon nous fait passer du conte au récit de vie, et puis à l’histoire rapportée. Alors on comprend que la poésie est quotidienne, et que l’émerveillement est à une porte de chez nous. Et on finit par le voir, ce vagabond céleste, celui du réel, en chair et en os.

Dans la pièce Bibish de Kinshasa, Philippe Ducros nous fait faire un va-et-vient constant entre la fiction au réel. Le personnage de la narratrice-journaliste-double de l’auteur nous raconte la déformation du monde que cause la guerre, et comment les gens s’adaptent, résistent, et continuent à vivre. « À cultiver la beauté du monde », comme dirait Simon Gauthier. Car derrière l’horreur, il y a l’impétueux désir de vivre et le courage qui s’habille d’humour. Entre les scènes interprétées avec toute l’énergie de Gisèle Kayembe, le metteur en scène et l’auteure, Bibish elle-même, commentent les scènes en nous préparant un repas. Ils nous ramènent ici, au Canada, et à son implication dans ce conflit. Nous les regardons regarder la comédienne qui nous regarde. “Cela nous concerne”, voilà ce que semble vouloir dire Philippe Ducros à chacun de ses spectacles. Et voilà qu’une petite lumière rouge interrompt l’échange entre le metteur en scène et l’auteure, car Bibish doit aller en loge pour alléter. Le quatrième mur est tombé, et le public partage le repas préparé sur scène à la fin de la soirée.

Bibish à Kinshasa est une célébration. Celle de la résistance et du désir de vivre des Congolais. Le vagabond céleste célèbre le désir d’être maître de sa vie et de son imaginaire. Comme les personnages de Bibish, le vagabond céleste cherche à préserver sa liberté. Il parcourt la terre à la recherche d’autres rêveurs, et de ceux qui ont besoin qu’il rallume leur lampe avec son feu.

Simon Gauthier rhabille la réalité d’enchantement. Philippe Ducros dévoile la réalité qu’on nous présente. Ces deux artisans des mots nous aident à mieux comprendre notre monde, à oser nous regarder nous-mêmes, et à avoir le courage de nos choix. Choix personnel avec Simon Gauthier, choix politiques et sociaux avec Philippe Ducros.

Entre ces deux types de spectacle, il n’y a pas à choisir. Nous avons autant besoin de l’enchantement que du dévoilement. Ce sont deux lucarnes par où regarder le réel. À l’heure où s’amuser et se divertir est devenu un mot d’ordre, où il faut être “le fun” et s’éclater, il est est sain de se rappeler qu’on a besoin de toutes les sortes de spectacles. Qu’il est des heures pour rêver et d’autres pour prendre acte.

Alors sortons des clichés « pièce de théâtre sérieuse » ou « conte pour enfants léger ». Un conte peut nous bouleverser jusqu’aux tréfond de soi. On peut passer un moment délicieux à regarder une pièce de théâtre qui parle de l’horreur de la guerre avec distance, légèreté et justesse. Souhaitons que cette différence soit toujours présente dans nos programmations culturelles.

simon gauthier

entretien avec Simon Gauthier à écouter ici

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Mardi dernier le groupe Ayrad présentait son premier album au Cabaret du Mile End, dans le cadre du Festival du Monde Arabe. L’émotion et l’enthousiasme étaient au rendez-vous autour de ce groupe qui puise dans différents styles musicaux d’Afrique du nord avec de légères influences andalouses et des instruments modernes (clavier, basse). Autour de Ayrad Hamza Abouabdelmajid, cinq musiciens : Annick Beauvais au hautbois, Gabou Lajoie à la basse, Bettil à la batterie, Anit Ghosh au violon et Kattam aux percussions.

Les musiciens ont tour à tour pris la parole pour remercier les contributeurs de cette aventure qu’est la création d’un album. Un album, c’est une succession de choix que l’on fait : choix des chansons, de l’ordre, du lieu où enregistrer, choix du son. Sur scène, ce sont aussi des choix esthétiques, linguistiques qui vont tracer l’avenir d’un groupe et lui permettre de se distinguer et de durer.

 

Le choix scénique : décalages

 

Le groupe a commencé par envoyer du fort. Solos du hautbois puis réponse du violon, chacun éclairé tour à tour, puis décollage et enchaînement de pièces bien rythmées. Pourtant, dès le départ, l’œil du spectateur ne perçoit pas un ensemble. Côté jardin, Anit Ghosh et Kattam sont physiquement entièrement présents. Ces musiciens qui ramènent sur scène quelque chose des traditions musicales d’où ils viennent (Europe de l’est et Afrique du nord) : le fait que ces musiques se dansent et sont souvent des musiques de transe. Le corps de Anit est totalement investi de la musique qu’il joue, et Kattam, bien qu’à l’arrière avec son arsenal de percussions devant lui, ne se fait pas du tout oublier, tant il est tellement présent, secoue la tête, lève les yeux au ciel, s’engage dans chaque mouvement, danse debout. Plus tard il s’avance au-devant de la scène pour jouer des pieds sur une énorme percussion. À la fin il anime une séance de percussions des mains où le public forme deux groupes et découvre la polyrythmie. En Afrique, nombre de maîtres disent que pour être un vrai musicien il faut être capable de danser ce qu’on joue.

Côté cour de la scène, les deux musiciens leaders du groupe font contraste. Ce n’est qu’à la fin du spectacle qu’ils se sont laissés emporter par l’énergie du violoniste et du percussionniste, celui-ci entamant des pas de danse près de Hamza qui s’y est mis. On aurait voulu que cette énergie soit présente dès le départ, que tout le groupe sur scène forme quelque chose qui nous restitue l’esprit des musiques maghrébines : la fête du groupe. On avait là quelque chose qui semblait hésiter entre le band à l’occidentale où les corps sont presque là par hasard, et l’investissement des corps des traditions maghrébines et tziganes. Le batteur bien sûr ne pouvait pas faire grand chose. Quoique…

Le choix des instruments : batterie rock et percussions

 

Le batteur aurait pu faire quelque chose : jouer moins fort. On aurait apprécié davantage une batterie style jazz qu’une grosse batterie rock qui n’a pas sa place dans une formation où chaque instrument est également important et mérite d’être entendu. Ce n’est que dans la pièce sans batterie qu’on a vraiment pu entendre la virtuosité de Kattam aux percussions. L’alignement batterie-percussions, utilisée aussi dans de nombreux groupes latins à Montréal, est très difficile à maîtriser et mérite qu’on s’y arrête, car la batterie peut rapidement effacer les congas, djembés et autres instruments percussifs qui donnent toute sa couleur à la musique.

Le public ne s’y est pas trompé : j’ai pu entendre plusieurs personnes dans le public dire que la batterie était vraiment trop forte. Il est vrai qu’il n’y a pas de rapport entre l’agression du tympan et le soulèvement euphorique qui nous conduira à danser. Une guitare flamenca est bien capable de nous soulever une salle entière, car le sens du rythme n’est pas en rapport avec l’intensité du son.

Le choix communautaire : qui ne parle pas arabe dans la salle ?

 

Ayrad a joué les onze chansons de l’album, ainsi que deux reprises célèbres du répertoire maghrébin, pour le plus grand bonheur de tous. Ayrad a voulu embarquer le public dans un échange. À ceci près qu’il nous a demandé de répéter, sans se soucier que peut-être certains dans la salle ne parlaient pas arabe. Ce petit détail est d’une très grande importance, car il signifie que le choix est fait, et que le groupe cherche à atteindre un public communautaire. Ayrad parlait en français bien sûr, mais pourquoi ne pas nous avoir dit lentement les mots en arabe, quitte à prendre deux minutes pour nous traduire la partie à répéter ? J’ai pu voir des jeunes filles québécoises enthousiastes qui d’un coup ont fait des signes d’ignorance en voulant répéter, noyées dans une foule arabophone heureuse de retrouver sa langue et sa musique.

Qu’un groupe de musique permette à des immigrants de retrouver un lien avec leurs origines, c’est absolument nécessaire dans une ville comme Montréal. Mais ne pas inclure les autres, qui sont là pour découvrir et apprécier « l’autre », limitera la portée du groupe. Et c’est souvent cela qui, au Québec, différencie les artistes dits « du monde » qui resteront confinés à un public communautaire, et ceux qui feront des salles plus grandes, plus nombreuses et plus variées. Le choix d’intégrer sur scène des artistes venus du Québec et d’ailleurs inviterait donc à intégrer aussi le public non arabophone à cette musique qui parle à tous.

 

Le choix des thèmes : originalité ?

 

   Ayrad chante le pays, sa mère, l’amour. Des thèmes, il faut le dire, largement balisés par les artistes immigrants. Il y a des thèmes qui collent à la peau de certains artistes venus d’un certain milieu culturel : les latinos parlent de danser, les arabes parlent de leur mère, les africains parlent de la pauvreté. Pouvons-nous sortir de ces clichés pour que nos artistes venus d’ailleurs, mais bien ici, nous parlent aussi de notre réalité partagée ?

Comment sortir du lot ?

Montréal est un véritable écrin où des bijoux de musiciens formant une diversité unique au monde, sont prêts à nous donner le meilleur. De nombreux groupes remplissent chaque semaine les mêmes salles de Montréal, où le public se rend aux soirées « arabes », « salsa », « africaines ». Le multiculturalisme opère en étiquetant les artistes pour remplir une case carte postale et communautaire. Les groupes se créent, s’agrandissent, s’évanouissent, se recomposent.

Les choix de mise en scène, du public ciblé et des thèmes des chansons sont les éléments qui feront l’originalité d’un groupe dans une ville où mélanger le traditionnel et le moderne, et mélanger différents styles de musiques du monde, devient banal. Il faudra aussi des événements et des salles qui encouragent autre chose que la vente de cartes postales.