What they say onstage

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« Je ne sais pas quoi dire », « Je n’avais pas de mots pour exprimer ceci ». On voudrait parfois trouver d’autres langages pour dire ce qu’on ressent, la beauté d’un paysage, l’émotion d’une soirée, la magie d’une rencontre. Et parfois on trouve ce qu’on a ressenti dans quelque chose qui vient de loin. Un masque africain, un rythme de l’autre bout du monde, racontent soudain ce qu’on a ressenti dans notre plus stricte intimité.

Sur les programmes et le site du Trio Populaire, la photo de trois copains qui éclatent de rire. Une photo bien banale, même floue, prise sur le vif, dans un moment de relâchement. Et pourtant, quelque part au milieu de cette complicité informelle, a émergé une musique qui nous porte bien loin et nous touche encore plus.

Le Trio Populaire, grand gagnant du Prix de la Diversité 2013, était en spectacle à l’espace Georges Émile Lapalme de la Place des Arts jeudi 24 mars, et à l’Église St James of Apostle le samedi 26.

Trouver une autre grammaire

Pour inventer un langage, il faut d’abord trouver une grammaire. On prend un instrument et on le fait danser coup sur du sable, sur des cailloux, sur des sentiers inconnus. Le sable, les cailloux, les différents sols, c’est la guitare de Joe Mallat. La danseuse, c’est la clarinette de Pierre Emmanuel Poizat. Et le rythme qui la fait vibrer, ce sont les percussions de Tacfarinas Kichou. Leurs trois paires de mains qui pointent vers la terre, vers le ciel ou qui tracent un horizon, et surtout, des sourires complices.

L’adjectif « virtuose » vite lâché pour qualifier des artistes, fait souvent oublier ce que la virtuosité nous transmet. La clarinette de Pierre Emmanuel est tantôt sensuelle, coquine, lyrique, elle sautille parfois si haut entre les aigus et les graves qu’on croirait que deux instruments se répondent. Les percussions de Tacfarinas donnent du relief à toutes les pièces, on attend, on est en suspend, on retombe, on s’emballe. La guitare de Joe fait le pont entre la mélodie et la percussion, puisqu’elle a la chance d’être à la fois un instrument mélodique, percussif et harmonique. Elle suit tantôt la danseuse dans ses envolées, tantôt elle soutient le rythme et la laisse danser seule. Voilà ce que ça fait, la virtuosité. Tout ça pour trouver une grammaire à eux sur les différents langages que sont le klezmer, le jazz, la musique berbère, flamenco, brésilienne et tzigane. Et bien sûr, leurs pièces originales vont bien au-delà d’un simple mélange d’influences musicales.

Se faire son petit film

Les pièces du Trio Populaire vivent comme des petits films. On est loin de la pièce folklorisée qui part un rythme exotique et on sait comment ça finira. Non, on veut suivre, qu’est-ce qu’il se passe après ? Un début sensuel et mystérieux, une envolée lyrique, des changements de rythme inattendus. Il suffit de fermer les yeux et on se fait notre petite scène. Le Trio Populaire a utilisé la variété des styles pour créer des pièces qui accompagneraient parfaitement des films muets, car chaque pièce est une petite histoire sans mots.

Les trois musiciens sont suffisamment humbles sur scène pour ne pas faire un spectacle de leur virtuosité. C’est bizarre, ils ne grimacent pas ? Est-ce que ce serait facile ce qu’ils jouent ? Non, au contraire. C’est que leur virtuosité première c’est d’arriver à faire partager, à transmettre sans imposer. Leur musique nous ouvrent les chemins de notre imagination, avec comme porte d’entrée le titre des pièces : « Au petit marché », « Un chameau à New York ». À nous de construire notre marché et notre animal qui ne se sent pas à sa place. C’est bien ça, ce qu’on demande à la musique instrumentale.

Dans les influences qu’ils ont choisies, la douleur côtoie toujours la joie, chaque tradition avec sa propre manière de les exprimer. Ces artistes de musique dite « du monde » sont souvent réduits au rôle de divertissements exotiques, pour danser s’amuser et se réchauffer. Ils nous offrent rien de moins que la chance de nous retrouver dans d’autres langages. Il nous suffit d’être aussi généreux qu’eux dans notre écoute, pour vivre une profonde expérience et comprendre à quel point ils sont précieux.

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Vendredi dernier, en clôture du festival Mundial Montréal, Gypsy Kumbia Orchestra nous a offert une soirée exceptionnelle au Club Soda, Le retour des bigs bands : Gypsy Kumbia Orchestra and Lemon Bucket Orchestra. Depuis deux ans, GKO se taille une place unique dans le paysage montréalais. Pourquoi ? Parce qu’ils sont décidément autre chose qu’un groupe qui réunit la musique gypsy des Balkans et la musique cumbia de Colombie. Et parce que l’expérience d’aller voir GKO va au-delà du simple concert.

 

Un mondo en libertiti

Au début du spectacle, le personnage qu’incarne Sebastian Mejia, percussionniste, chanteur, et cofondateur du groupe avec Carmen Ruiz, chorégraphe et danseuse, se met à parler un italien imaginaire, à la manière des formules de début des contes qui modifient toujours la langue pour en créer une nouvelle et ouvrir l’espace de l’imaginaire : « Corrupcion… destruccion… represion… nuestra solucion : dansari ! » C’est là l’idée maîtresse du projet GKO, et qui en fait plus qu’un groupe de musique : un collectif qui propose de refonder les liens sociaux, qui « cherche à briser de façon ludique et inclusive les concepts d’individualité et de concurrence qui gouvernent nos sociétés » (Girovago, maison de production de Carmen et Sebastian, http://artgirovago.blogspot.ca).

On ne décrira plus la frénésie des musiciens et des danseuses, les chorégraphie et les couleurs, la folie et la virtuosité. Mais GKO c’est autre chose que des couleurs et du bruit. GKO nous donne une impression chaotique voulue, basée sur le principe des improvisations dirigées, au sein d’une chorégraphie bien établie mais qui s’adapte aux différentes scènes. La danseuse à la jupe ample démarre des mouvements langoureux, et puis rompt son mouvement et tombe à terre. Certains mouvements sont presque africains, jambes écartées et mouvements du bassin, proche de la transe. Les costumes sont assortis, mais asymétriques, et aucun ne se ressemble. Les jupes longues voisinent avec les camisoles, les chapeaux avec les coiffures déjantées. Et pourtant il sort de tout ceci une rare communion.

 

La liberté de chacun dans la communion de tous

Voilà que la trompettiste s’avance et que la danseuse tourne autour d’elle, voici la danse des violons, chacun avec sa danseuse, à tour de rôle, chacun dans son langage mais pris dans la même énergie. Les lignes se défont, les groupes se reforment. GKO renoue avec des traditions où la musique et la danse ne sont pas séparées, où elles ne sont même pas envisagées comme deux disciplines distinctes. Dans GKO chacun répond et réagit aux autres, comme dans le flamenco où les musiciens forment un cercle autour de la danseuse pour l’encourager.

Et le public est appelé immanquablement à participer au-delà de ce à quoi il est habitué. Il doit se rapprocher, se resserrer. Juan lance un atelier en trois parties : 1. Hurler son nom à l’univers, 2. Se serrer dans les bras soi-même et dire qu’on s’aime, 3. Serrer son voisin dans ses bras. Ce mini rituel rejette les bases du lien social : prenons conscience de notre existence dans l’univers, aimons-nous, tournons-nous vers notre voisin.

La liberté que défend GKO n’est pas celle du choix individuel égoïste : elle est la liberté de l’individu qui se sent appartenir à quelque chose de plus grand et qui fait corps avec les autres. Chacun est happé par cette énergie qui le dépasse, il fait partie d’un corps collectif où chacun conserve pourtant son individualité, sa chorégraphie. Chacun devient l’expression de ce que le tout a engendré en lui. Cette liberté et cet esprit de communion, GKO l’entretient aussi hors de la scène, dans sa manière de travailler.

Un collectif indépendant

GKO est un collectif entièrement indépendant. Cela signifie que Carmen et Sebastian financent le cachet des dix-huit musiciens, la location d’un local, l’infographie, la costumière, etc. Le collectif se réunit plusieurs fois par semaine pour travailler ensemble et pour travailler en petits groupes (les cuivres ensemble, les violons ensemble). Aujourd’hui que le groupe a muri, la musique et la danse se travaillent spontanément en même temps. À Montréal comme partout, tout artiste porteur de projet sait qu’il est difficile de maintenir les musiciens à long terme et de façon régulière, car les musiciens ne vivent que de leurs cachets et doivent jongler entre plusieurs projets, quand ce n’est pas avec des jobs alimentaires. GKO réussit pourtant à garder ses musiciens fidèles depuis le début, et à intégrer de nouveaux venus, car le groupe remporte un franc succès qui assure aux musiciens un cachet, mais aussi parce que GKO est en mouvement permanent, offrant aux musiciens de challenger leur créativité en permanence. Car ici, les musiciens ne sont pas de simples figurants qui accompagnent des danseuses. Ils ont des corps et des visages pour exprimer des émotions humaines. Et enfin, GKO est une vraie famille. Leur tournée en Colombie en janvier dernier a amené trente personnes à la rencontre des locaux, des enfants et des festivals de rue de ce pays.

Autre chose que du divertissement

Voilà pourquoi GKO a aussi un grand défi au-devant de lui : celui de préserver cette liberté et cette indépendance, et de ne pas se faire happer par l’industrie du divertissement et de la folklorisation des groupes de musique dits « du monde ». Car GKO est le contraire du divertissement : le public est engagé totalement, dans un esprit de fête proche des traditions culturelle de beaucoup de pays. Ils sont colorés, ils sont exotiques, ils remplissent les salles, et ils sont des candidats tout désignés pour être enfermés dans les cases de l’industrie de la World Music.
Ce bijou montréalais s’en va prochainement explorer New York. Au club Soda ils nous ont montré les possibilités incroyables de collaboration avec des artistes de cirque.

Carmen Ruiz a rappelé en introduction de la soirée au Club Soda que c’est grâce au public que cette soirée a été possible. GKO est un groupe à aller voir, à soutenir de notre présence, mais aussi à préserver, car c’est, au-delà d’un spectacle fabuleux, un vrai projet de société et de lien entre les individus qui est ici en jeu.

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Mardi dernier le groupe Ayrad présentait son premier album au Cabaret du Mile End, dans le cadre du Festival du Monde Arabe. L’émotion et l’enthousiasme étaient au rendez-vous autour de ce groupe qui puise dans différents styles musicaux d’Afrique du nord avec de légères influences andalouses et des instruments modernes (clavier, basse). Autour de Ayrad Hamza Abouabdelmajid, cinq musiciens : Annick Beauvais au hautbois, Gabou Lajoie à la basse, Bettil à la batterie, Anit Ghosh au violon et Kattam aux percussions.

Les musiciens ont tour à tour pris la parole pour remercier les contributeurs de cette aventure qu’est la création d’un album. Un album, c’est une succession de choix que l’on fait : choix des chansons, de l’ordre, du lieu où enregistrer, choix du son. Sur scène, ce sont aussi des choix esthétiques, linguistiques qui vont tracer l’avenir d’un groupe et lui permettre de se distinguer et de durer.

 

Le choix scénique : décalages

 

Le groupe a commencé par envoyer du fort. Solos du hautbois puis réponse du violon, chacun éclairé tour à tour, puis décollage et enchaînement de pièces bien rythmées. Pourtant, dès le départ, l’œil du spectateur ne perçoit pas un ensemble. Côté jardin, Anit Ghosh et Kattam sont physiquement entièrement présents. Ces musiciens qui ramènent sur scène quelque chose des traditions musicales d’où ils viennent (Europe de l’est et Afrique du nord) : le fait que ces musiques se dansent et sont souvent des musiques de transe. Le corps de Anit est totalement investi de la musique qu’il joue, et Kattam, bien qu’à l’arrière avec son arsenal de percussions devant lui, ne se fait pas du tout oublier, tant il est tellement présent, secoue la tête, lève les yeux au ciel, s’engage dans chaque mouvement, danse debout. Plus tard il s’avance au-devant de la scène pour jouer des pieds sur une énorme percussion. À la fin il anime une séance de percussions des mains où le public forme deux groupes et découvre la polyrythmie. En Afrique, nombre de maîtres disent que pour être un vrai musicien il faut être capable de danser ce qu’on joue.

Côté cour de la scène, les deux musiciens leaders du groupe font contraste. Ce n’est qu’à la fin du spectacle qu’ils se sont laissés emporter par l’énergie du violoniste et du percussionniste, celui-ci entamant des pas de danse près de Hamza qui s’y est mis. On aurait voulu que cette énergie soit présente dès le départ, que tout le groupe sur scène forme quelque chose qui nous restitue l’esprit des musiques maghrébines : la fête du groupe. On avait là quelque chose qui semblait hésiter entre le band à l’occidentale où les corps sont presque là par hasard, et l’investissement des corps des traditions maghrébines et tziganes. Le batteur bien sûr ne pouvait pas faire grand chose. Quoique…

Le choix des instruments : batterie rock et percussions

 

Le batteur aurait pu faire quelque chose : jouer moins fort. On aurait apprécié davantage une batterie style jazz qu’une grosse batterie rock qui n’a pas sa place dans une formation où chaque instrument est également important et mérite d’être entendu. Ce n’est que dans la pièce sans batterie qu’on a vraiment pu entendre la virtuosité de Kattam aux percussions. L’alignement batterie-percussions, utilisée aussi dans de nombreux groupes latins à Montréal, est très difficile à maîtriser et mérite qu’on s’y arrête, car la batterie peut rapidement effacer les congas, djembés et autres instruments percussifs qui donnent toute sa couleur à la musique.

Le public ne s’y est pas trompé : j’ai pu entendre plusieurs personnes dans le public dire que la batterie était vraiment trop forte. Il est vrai qu’il n’y a pas de rapport entre l’agression du tympan et le soulèvement euphorique qui nous conduira à danser. Une guitare flamenca est bien capable de nous soulever une salle entière, car le sens du rythme n’est pas en rapport avec l’intensité du son.

Le choix communautaire : qui ne parle pas arabe dans la salle ?

 

Ayrad a joué les onze chansons de l’album, ainsi que deux reprises célèbres du répertoire maghrébin, pour le plus grand bonheur de tous. Ayrad a voulu embarquer le public dans un échange. À ceci près qu’il nous a demandé de répéter, sans se soucier que peut-être certains dans la salle ne parlaient pas arabe. Ce petit détail est d’une très grande importance, car il signifie que le choix est fait, et que le groupe cherche à atteindre un public communautaire. Ayrad parlait en français bien sûr, mais pourquoi ne pas nous avoir dit lentement les mots en arabe, quitte à prendre deux minutes pour nous traduire la partie à répéter ? J’ai pu voir des jeunes filles québécoises enthousiastes qui d’un coup ont fait des signes d’ignorance en voulant répéter, noyées dans une foule arabophone heureuse de retrouver sa langue et sa musique.

Qu’un groupe de musique permette à des immigrants de retrouver un lien avec leurs origines, c’est absolument nécessaire dans une ville comme Montréal. Mais ne pas inclure les autres, qui sont là pour découvrir et apprécier « l’autre », limitera la portée du groupe. Et c’est souvent cela qui, au Québec, différencie les artistes dits « du monde » qui resteront confinés à un public communautaire, et ceux qui feront des salles plus grandes, plus nombreuses et plus variées. Le choix d’intégrer sur scène des artistes venus du Québec et d’ailleurs inviterait donc à intégrer aussi le public non arabophone à cette musique qui parle à tous.

 

Le choix des thèmes : originalité ?

 

   Ayrad chante le pays, sa mère, l’amour. Des thèmes, il faut le dire, largement balisés par les artistes immigrants. Il y a des thèmes qui collent à la peau de certains artistes venus d’un certain milieu culturel : les latinos parlent de danser, les arabes parlent de leur mère, les africains parlent de la pauvreté. Pouvons-nous sortir de ces clichés pour que nos artistes venus d’ailleurs, mais bien ici, nous parlent aussi de notre réalité partagée ?

Comment sortir du lot ?

Montréal est un véritable écrin où des bijoux de musiciens formant une diversité unique au monde, sont prêts à nous donner le meilleur. De nombreux groupes remplissent chaque semaine les mêmes salles de Montréal, où le public se rend aux soirées « arabes », « salsa », « africaines ». Le multiculturalisme opère en étiquetant les artistes pour remplir une case carte postale et communautaire. Les groupes se créent, s’agrandissent, s’évanouissent, se recomposent.

Les choix de mise en scène, du public ciblé et des thèmes des chansons sont les éléments qui feront l’originalité d’un groupe dans une ville où mélanger le traditionnel et le moderne, et mélanger différents styles de musiques du monde, devient banal. Il faudra aussi des événements et des salles qui encouragent autre chose que la vente de cartes postales.

What they say onstage

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Nous cherchons dans l’autre le reflet inversé de nous-même. Sur les murs du métro, dans les annonces des journaux, à la télévision, les agences de voyage nous vendent des pays de plage et de sable fin, de couleurs vives, de fête et de joie de vivre, de simplicité et de spiritualité. Dans les couloirs de la fabrique culturelle aussi, les artistes immigrants sont souvent affichés en carte postale. Et si nous prenions le temps de retourner la carte postale pour voir ce qu’il y a écrit derrière ?

Mamselle Ruiz, révélation Radio Canada en catégorie Musique du Monde, a lancé vendredi dernier son deuxième album, Miel de Cactus, au Cabaret du Mile End, entourée de ses musiciens et artistes invités. Devant un public très varié composé de francophones, d’hispanophones, d’anglophones de tous âges, que nous a-t-elle dit d’elle-même et du monde tel qu’elle le réinvente ?

Ce que Mamselle dit dans ses chansons

Sur son nouvel album, Mamselle a écrit cinq chansons. Et quand on prend le temps de s’arrêter aux paroles, on se rend compte qu’on est loin des rythmes du soleil de nos clichés. Deux chansons aux paysages mystiques, Corazon de Rubi, un paysage intérieur contrasté et harmonieux fait de sel et de cristal, d’eau et d’ombres, d’étoiles et de feu. Salvaje de mi vida, un appel aux forces vitales, qui sonne comme une prière enflammée.

Et puis deux chansons qui mettent en scène la mort, tantôt fragile qui vient de la lune se réfugier entre nos mains dans Sombras, tantôt un lieu de la mythologie azthèque où l’âme part, guidée par une offrande, le chuchotement d’une chandelle, et une guitare blessée, dans Camino al Mictlan. Et puis une cinquième chanson, La tala, ode à la terre mère et cri d’alarme contre les saignées qu’on inflige à son ventre.

Pour tout ce qu’elle dit, Mamselle fait appel à notre âme magicienne, capable de s’émerveiller devant la beauté de la nature et de l’âme humaine, et à y reconnaître la force d’esprits avec lesquels nous pouvons communier. Il y a quelque chose de mystique chez Mamselle, et elle fait appel à tout ce qu’elle a, les mots, la voix, son corps de danseuse et d’acrobate, pour nous le transmettre.

Ce que Mamselle dit en dehors de ses chansons

Mais ce soir là au Cabaret du Mile End, Mamselle a dit encore bien d’autres choses. La première, ce fut un remerciement. À son compagnon de route, Simon Rioux. Ce remerciement n’était pas une politesse, c’était une vraie révérence devant le petit miracle que constitue leur rencontre. Par là, et par le second remerciement fait à Dominic Gamelin, guitariste et réalisateur de l’album, Mamselle nous dit que le talent est le fruit de ces petits miracles que sont les rencontres, d’un travail acharné, qui nous permettent de faire éclore nos potentiels.

Et puis Mamselle nous a offert en rappel une sixième chanson de sa composition, Esperanza, qu’elle avait chantée à la prison de Bordeaux comme une proposition que les prisonniers ont repris en parlant de ce qu’était leur espérance. Au Cabaret du Mile End, elle l’a introduite en faisant allusion à la situation au Mexique, et l’a dédiée au peuple ukrainien. Ce que Mamselle nous dit alors, c’est que l’artiste est à l’écoute du monde, sensible à ce qui s’y passe, et que ses chansons sont comme des chandelles allumées sur l’autel des injustices et de la souffrance.

Retourner la carte postale

Il n’était pas si difficile de retourner la carte de la chanteuse mexicaine aux cheveux tressés, aux longues boucles d’oreille, aux bijoux massifs. Sa voix exceptionnelle, sa présence scénique, sont là pour nous donner à voir un rapport au monde qui est le sien, dans un langage musical qui emprunte à plusieurs traditions musicales, dont celles du Mexique. Et si demain un artiste francophone québécois nous offrait dans son spectacle une vision du monde pleine de ces prières et incantations, il rejoindrait Mamselle plus qu’un autre chanteur mexicain.

Il serait peut-être temps d’aller écouter ce que les artistes latino-américains et tous les artistes immigrants nous disent. Car ils nous apportent autre chose qu’une couleur ensoleillée à notre quotidien.

Il ne tient qu’à nous que Mamselle ne soit pas exotique, mais qu’elle soit intégrée entièrement au paysage culturel québécois, comme une artiste de chez nous qui offre sa vision du monde, pleine de spiritualité, où la prière prend des accents du cri de la Bruja ou du chant de Esperanza.

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Il nous arrive devant les choses les plus simples et les plus puissantes, de ne pas trouver les mots pour le dire simplement. Alors on cherche d’autres mots, on fait de la poésie, ou bien on crée un autre langage, on sculpte, ou joue de la musique, on danse. Un jour, devant un de ces petits essais, quelqu’un reconnaît une joie, une peine, une solitude, une peur qu’il a ressentie, mais qui était autre chose encore. Il l’avait rangée dans le tiroir de l’oubli, et voilà qu’elle est là, cette autre chose, dans cette sculpture, dans ce corps qui danse, dans cette musique.

Vendredi et samedi derniers, 21 et 22 février, Labess jouait au café Gitana. Un groupe créé par Nadjim Bouizzoul qui fusionne la rumba gitane, le flamenco, le chaabi et la musique gnawa. Mais Labess, c’est autre chose.

Autre chose que de la bonne musique

Ce soir là, le violon a remplacé la clarinette. Nadjim à la guitare et à la voix, Takfarinas au cajon et à la darbuka. La deuxième chanson du spectacle, c’est l’exil. On a beau ne pas comprendre un mot, on le sait tout de suite. Trois musiciens venus de la Méditerranée et de l’Europe de l’est, chacun sur la chaloupe de son instrument, emportés dans les vagues de la musique, tracent le chemin de tous ceux qui sont partis. La voix éraillée et puissante de Nadjim nous conduit, en arabe ou en français, sur une guitare percussive et mélodieuse. On y va, solides entre les mains de Takfarinas, il est là, il ne lâche pas, il nous rassure, il va nous amener plus loin encore. Du violon d’Anit sort une plainte qui se transforme en extase au détour de quelques notes. La douleur et la joie dans un seul cri, comme celui de la femme qui accouche. Puis Nathalie Cora les a rejoint. Cette musicienne québécoise qui a pris le nom de cet instrument africain en joue comme une marionnettiste, avec délicatesse et joie, deux doigts seulement de chaque main pour nous ramener l’Afrique dans le petit ventre de sa cora.

 

Ils n’étaient que trois, que quatre avec Nathalie. Mais ils dégageaient l’énergie d’un orchestre. Chacun maître dans son art et à l’aise en même temps, concentré et disponible au partage. Humbles comme seuls savent l’être les grands, sans attitude. Ils se guettent et se répondent, s’encouragent mutuellement comme dans la tradition flamenca. Quand ils entendent une rumeur dans le public, leurs regards se tournent vers lui, et leurs visages rayonnent. Le public suit. Voilà que leur solidarité se répand sur ceux qui se sont mis à danser. Eux aussi s’encouragent, forment spontanément un cercle et invitent à tour de rôle une personne au centre en criant son nom. Tout le monde semble répondre à un appel profond des énergies qui dorment en nous. Trois musiciens devant un public qui danse, mais ce concert, c’était encore autre chose.

Autre chose que le café Gitana

Ces deux concerts n’avaient pas lieu n’importe où. Sur St Denis, entre Ontario et Sherbrooke, il y a le Café Gitana Rouge, l’originel, et à quelques mètres, le petit nouveau, le Turquoise. C’est là qu’ont lieu les spectacles. Mais le café Gitana, c’est bien autre chose qu’un café de narguilé. À la deuxième partie du specatcle de Labess, tout le monde danse, même ceux qui ne savent pas, même ceux qui n’étaient pas venus pour ceux, même ceux qui n’ont pas la place et ont juste pu se lever de leur chaise. Anna, la patronne du Café Gitana, habillée en gitane, vient éponger le visage de Nedjim. Irfan, le patron, embrasse le violoniste et lui dit merci. On entend parler turc, arabe de tous les pays, espagnol de tous les pays, français, anglais. Et pourtant, pas de communautés ce soir.

Dans le paysage des musiques dites « du monde », nombreux sont les groupes qui fusionnent des genres musicaux. On va alors voir un mélange de telle musique et de telle autre. Labess est à voir pour autre chose, pour cette énergie et ce partage qu’il crée, où chacun peut se retrouver, au-delà même des styles musicaux. On va voir Labess pour créer, pour un soir, quelque chose d’autre. Dans ce café qui n’est pas un café culturel, mais une famille réinventée.