Lettre à la parole

Ma Dame,

Je viens prendre de vos nouvelles, car on m’a dit que vous étiez mal-en-point ces temps-ci.

Vous savez à quel point nous vous aimons, en France. Vous êtes ici une icône. Vos mots, votre littérature, vos joutes, vos discours, vos manifestes, vos débats, votre blabla, ont fait notre renommée. Partout dans le monde, on le sait, les Français savent parler et débattre. On dira que nous n’avons pas peur de sortir les sujets qui fâchent. Et parfois on dira que nous ne savons que râler et que nous parlons beaucoup pour ne rien faire.

La violence latente en France

Ce qui est sûr, c’est que notre histoire vous doit beaucoup. Mais à trop vous regarder dans le miroir, vous avez oublié que votre beauté n’a d’éclat que si elle sert l’action. Et nous avons fini par ne plus voir que vous. À force de confondre s’indigner et râler, la juste colère et le réflexe de violence, nous avons fini par vous perdre. Je me souviens du temps où la confrontation servait à construire une idée commune, comme le choc de deux pierres fait jaillir l’étincelle. Aujourd’hui, tout est prétexte à se hurler dessus : dans les commerces, dans le métro, sur les réseaux sociaux, en voiture. Pour qui voyage ou a vécu ailleurs, l’agressivité est palpable dans tous les milieux en France, et la violence verbale n’est qu’un prélude à d’autres formes de violence qu’on ne s’étonne pas de voir exploser. Tout, a priori, est considéré comme une menace ou une volonté de conflit. Avant de questionner, de préciser, de peser, on agresse. Et quiconque proposerait une autre manière de réagir serait en train de minimiser la souffrance, de nier l’injustice. de se laisser faire ou d’être un donneur de leçon. D’autres sociétés avaient compris que la violence avait besoin d’être mise en scène et exprimée dans des cadres bien réglementés. C’est ainsi qu’on inventait le théâtre grec, les combats de gladiateurs, de coq, la corrida, les carnavals. Elles sont ses réponses – condamnables ou non – pour éviter que la violence ne jaillisse entre les citoyens. Vous qui avez été un bouclier à la violence, vous en êtes devenu un fer de lance.

La culture du commentaire et des petites phrases

On vous voit sauter partout, et ne rien saisir. C’est le règne des petites phrases, celle des politiques qui font la une de la semaine, dont on discute au bistro et sur lesquelles on se fait une opinion, que les médias vont détricoter dans tous les sens, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien. C’est le règne des commentaires, sur ce qu’on appelle un fil de discussion où aucun fil ne tient puisque tout est en différé. Chacun se déverse et affiche, en déployant une énergie phénoménale. C’est le règne des pouces et émoticônes qu’on reçoit souvent comme seule réponse à des mots écrits. Vlan ! Pas le temps de te dire des mots… mais pouce en l’air ! Les discours politiques sont réduits à des exercices de communication, et les débats dans les médias sont minutés, montés, et encadrés. Si peu de journalistes savent laisser la parole se dérouler, hésiter, se poser. Partout on vous asphyxie.

Or, se parler, c’est précisément autre chose que s’envoyer de l’information ou communiquer. C’est constamment évaluer la réaction de l’autre, ajuster son propos, préciser, nuancer, rééquilibrer, affiner. C’est laisser le temps et la place au doute, à l’hésitation, au silence. En sommes-nous encore capables ?

Le Grand Débat National : comment réapprendre à se parler ?

Voici venu l’heure du « Grand Débat ». On nous dit que partout en France, les citoyens vont pouvoir parler avec les élus et entre eux, des sujets importants de notre société. Ces sujets ont été dictés par en haut, comme un chef de la rédaction. Voilà près de trois ans que j’enregistre la parole de gens à travers la France qui sèment le changement. Et l’une des premières choses que j’ai comprise, c’est que pour qu’une parole émerge qui soit profonde de qualité et qui percute, il ne faut pas arriver avec des questions toutes faites. Il faut savoir vous conduire comme on tient les rênes d’un cheval, comme on tient la barre d’un bateau : laisser faire et guider. Donner à l’autre la liberté de chercher ce qui à ses yeux est important, et, par un échange et surtout de l’écoute, faire rebondir. Voilà qui permet la vraie libération de la parole.

Des solutions plutôt que des doléances

Des Nuits Debout dans les grandes villes à celles dans les hameaux, des réunions de mouvements citoyens aux conférences des spécialistes, des débats avec des auteurs, des tables rondes avec des spécialistes, des colloques organisés aux rond points improvisés, aux discussions sur les marchés et dans les bistros, j’ai bien souvent été dans ces arènes où tout le monde était votre champion, prêt à vous libérer. Mais votre libération ressemble beaucoup à un lâcher de fauves affamés. C’est un déluge de plaintes, de critiques, de commentaires des symptômes. Ceci est sans doute un moment nécessaire. Mais ce n’est pas votre chant, ce n’est que votre raclement de gorge. Sommes-nous capables, face à l’urgence, de mettre le juste constat de ce qui ne va pas au service de solutions à envisager ? Devons-nous organiser des lâchés de parole qui défoulent, ou des constructions de parole qui sont utiles ? Et si nous posions qu’à chaque mi-séance, on ne prenne plus que des propositions de solutions ? Si au lieu d’ouvrir un cahier de doléances, les maires ouvraient un cahier de propositions ? L’urgence que nous vivons mérite autre chose qu’un défouloir.

La parole de chacun portant la parole collective

Dans bien des rencontres, la parole de chacun est une parole particulière, privée. Chacun vient raconter son combat, son urgence. Et tant pis si cela n’a rien à voir avec ce qui a été posé juste avant. Le processus par lequel une parole intime devient une parole qui peut parler à l’ensemble est perdu. Les Français ont d’abord besoin de trouver des arènes où se raconter, sortir de la bulle de leur existence, pour mettre en perspective leurs vies, et pour interroger les évidences de nos comportements. Prendre le temps d’écouter nos voisins, nos collègues, nos propres enfants, ceux qui vivent différemment et envisagent différemment le monde. On se rendrait compte que nous sommes tous traversés par les mêmes questionnements, et que les réponses sont complexes et multiples. Ce serait alors, peut-être le début d’un processus par lequel on referait société.

Pour cela nous avons besoin de vous, posée et forte, exigeante et respectueuse, prête à mettre en question. Vous êtes notre trésor et chacun, en périphérie ou dans les grands centres, dans le fond d’une campagne ou dans un centre ville, chauffeur, artisan, commerçant, paysan, enseignant, enfant, artiste, chef d’entreprise ou employé, nanti ou misérable, peut s’engager à prendre soin de vous. Nous avons besoin de cultiver de nouveaux espaces pour que vous puissiez éclore, et pour qu’à nouveau, nous puissions être fiers de ce que nous sommes.

Sarah Roubato a publié :

 Partout en France et ailleurs, ils sont sur le point d’avoir trente ans. Une foule d’anonymes qui cherchent à habiter le monde ou à le fuir, à dessiner leurs rêves ou à s’en détourner. Au cœur du tumulte, ils s’interrogent, se font violence et ce sont leurs voix que l’on entend se déployer 

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Une jeune femme écrit à un adolescent et lui propose d’envisager son avenir avec un autre regard que celui qu’on lui a appris, pour faire face à un monde qui change et qu’il va devoir réinventer. Une lettre qui résonne à tout âge pour ceux qui ont eu envie de quitter les chemins tout tracés et à qui on a dit que c’était impossible.

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livre sarah

Un recueil de lettres adressées à toutes celles et ceux, même s’ils ne peuvent pas répondre, qui peuplent la solitude d’une jeune femme éprise de la beauté du monde. Comment la dire, comment la préserver, comment y participer, alors que des forces contraires – l’hyperconsommation, les renoncements politiques, l’ambivalence du progrès technologique – nous isolent toujours plus les uns des autres ?

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