Tant qu’il y aura sur terre des hommes pour pleurer la mort d’une bête

Quand les petites impressions révèlent les grandes questions… voici quelques scènes récoltées en parcourant une France qui ne se montre ni dans les journaux ni sur les guides touristiques, et qui nous racontent quelque chose sur l’humain auquel nous participons, et celui qu’il nous reste à inventer. 

Accroupie devant l’arbre, tête baissée, elle n’a pas bougé pendant une, peut-être deux minutes. Le temps d’une prière. Une prière qui n’avait rien de religieux, dans ce silence qu’ont les éléphants quand ils reconnaissent les ossements d’un des leurs.

Je revenais de la forêt. Sur le chemin à l’entrée du hameau, un renard est étendu, mort. Je vais la prévenir. Elle enfile ses chaussures sans les nouer et court vers le tas roux qui gît dans la boue. La morsure du chien est claire. C’est une femelle. Elle la soulève doucement. Son compagnon empoigne une pelle, et nous nous dirigeons vers l’entrée du bois pour l’enterrer. L’obscurité pousse déjà le jour à déguerpir. Tout se fait en silence. Une fois seulement, elle dit : « Je suis tellement désolée. ». Sa douleur n’a rien d’un emportement mystique devant une jolie peluche détruite. Elle sait que le chien a répondu à l’appel du sang. Mais à cette heure, elle sait aussi le poids de la disparition d’un individu appartenant à une espèce fragile.

Je reste en retrait. Je sais que ce moment lui appartient. Qu’elle et cette renarde sont bâties dans la même montagne.  Je revois l’image de ces vacanciers sur une plage se ruant avec leur cent téléphones sur un bébé dauphin échoué trop près des cotes, qui finit par mourir de déshydratation. Je revois les touristes sur le pont d’un bateau du Bosphore, achetant des pains entiers juste pour le plaisir de voir quelque chose être rattrapé en l’air par un bec. Je revois les enfants de ma ville s’amuser à donner des coups de pied aux pigeons. Ceux qui frappent sur la vitre derrière laquelle l’orang-outan s’épouille. Ceux qui applaudissent l’orque qui lève la nageoire dans sa prison bleu ciel. Tous ceux-là ont sûrement adoré le film La Marche de l’Empereur.

Je revois tout ça alors que la nuit ne me laisse entrevoir qu’une masse au-dessus d’un monticule de terre. Et d’un coup, dans la minute de sa prière silencieuse, cette fille penchée sur la mort d’un renard a tout racheté. Tant qu’il y aura sur terre des hommes pour pleurer la mort d’une bête mal tuée, nous aurons peut-être une chance. Pas la chance de sauver des espèces de leur disparition programmée, mais celle de dire qu’il y avait dans l’humain quelque chose qui le refusait. Et que nous avons simplement oublié de l’écouter.

Enregistrer

Rejoindre la discussion

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.