Lettre à mon voisin, Dudule

Un matin de janvier 2022

Je me suis réveillée tôt ce matin – je sais, ça t’épate. J’ai décidé de voir les montagnes enneigées se bleuter de la première lumière du jour. Tu disais que « des matins comme ça, on les vendrait à personne ! » Il était beau, aussi, le matin de ce putain de lundi. Quand je suis partie tu venais d’allumer la lumière chez toi. 

Je n’ai pas encore tout à fait compris que ta cheminée qui fume, ta débroussailleuse, ton camion, ça ne voudra plus dire : « Tiens, Dudule est rentré… je vais lui faire un coucou. Oh… peut-être pas maintenant, plus tard… » Et puis voilà. Merci pour la leçon, mais tu n’étais pas obligé d’employer les grands moyens pour nous la donner. Pour moi, tu es un peu comme la montagne : elle est là, elle bouge pas, elle sera là à mon retour… 

Tu as été le premier sourire à m’accueillir à mon arrivée. Je débarquais sans connaître personne. Et tu as été là. Pour les coups de main, là pour m’apprendre à lire une carte et m’indiquer des chemins, pour me dire qu’il y a quelqu’un qui est là. Moi la nomade multiculturelle, toi l’Ariégeois bien d’ici et bien ancré. Et on s’entendait. En même temps, comme tous ceux qui viennent habiter « si loin », parfois tu n’avais envie de voir personne. Et moi non plus. On le sentait, et on le respectait. Pour indiquer où c’est chez moi, je dis toujours : « En face de la maison avec un toit végétal ». Chez toi on entre sans frapper. Je frappais quand même. Et ta voix rocailleuse de fumeur éternel : « Ouiiiiiiiiii ! Entre, entre ! ». Chacun a besoin de savoir qu’il y a, quelque part pas loin, un endroit où on peut entrer sans prévenir et sans frapper. Quand je dis que je suis bien ici, tu en fais partie, de ce bien. 

Comme tu en étais fier, de cette maison ! Et y’a de quoi. Une chose finie, une autre à refaire. Comme la montagne : toujours à redécouvrir. Jamais à rien faire, et pourtant, toujours le temps pour jaser, t’enfiler un bon polar, boire un coup. À propos, qui va m’aider à l’ouvrir cette bouteille de rhum ? La veille tu m’as dit qu’à ton retour d’Espagne on l’ouvrirait. Et qu’on se la fera, cette bouffe qu’on repoussait sans cesse comme des cons. Ta daube au chocolat…

« Dudule, 2 janvier 2022. Appel entrant. 6 minutes » Les dernières minutes où j’ai entendu ta voix. Tu m’as dit : « S’ils trouvaient un vaccin contre la connerie j’aimerais être immunisé. » 

Cons, on l’est tous dès qu’on se dit « plus tard ». Et dès qu’on ne dit pas les choses. On dit « je t’aime » à la famille et aux chéris. On oublie qu’il y a bien des variétés d’amour. Qu’on peut aimer le commerçant chez qui on s’arrête depuis des années, le mentor dont l’enseignement continue à grandir en nous, un partenaire de travail sur qui on a compté… un voisin dont la porte est toujours ouverte. Couillon, je t’aime et je ne te l’ai jamais dit.  

La dernière phrase que tu m’aies dite c’est : « Le 15 janvier je serai parti en Espagne. Puisque je peux plus marcher je vais voler au soleil. » Alors le 15 je regarderai vers le sud. En attendant, je te souhaite bon vol vers le soleil.

“Tchou-bye”  

Sarah