Disparu volontaire

Le  vide,  ça  s’explique  pas.  Ça  se  remplit,  avec de petites importances. Et puis un jour ça te pète à la face et ça te tire par les chevilles jusqu’au pied du miroir. Tout ce qu’on t’a appris éclate, et je te jure que ça fait du boucan. Je veux savoir ce que je suis sans tout ce qu’on m’a appris à être. Je ne pensais pas que ce serait aussi léger de me débarrasser de moi.

Chaque année, des milliers de personnes adultes disparaissent sans laisser de trace. Légalement, on ne peut pas les rechercher. Ils arrivent au bout de quelque chose, d’une imposture, d’un semblant de trop. Qu’est-ce qui pousse quelqu’un à tout quitter, sans prévenir ?

Dans ce texte, c’est surtout l’incompréhension que j’ai essayé de transcrire. Quand le dialogue qu’on a avec soi dans le secret de ses instants de solitude, devient assourdissant. Combien de fois, dans les faits divers de meurtre, de suicide ou de toute autre crise, on entend les proches et les voisins dire : « Jamais j’aurais cru. » Ce jamais j’aurais cru, c’est ce qui se creuse entre les espérances et les rêves de quelqu’un, et ce qu’on lui apprend à être. C’est ce qu’on n’ose pas dire à ceux qu’on aime, parce qu’on finit par être aimé pour ce qu’on accomplit, ce qu’on prouve, ce qu’on démontre. Alors tout ce qui est en dormance en nous, nous espérances, nos rêves, nos envies, s’enfoncent un peu plus dans un silence qui finit un jour par crever. 

Tous les textes de Enfants du même brouillard ont quelque chose à voir avec la disparition : des gens qui partent pour ne pas disparaître, d’autres qu’on fait disparaître et qui se tiennent encore debout, et d’autres qui réclament le droit de disparaître. J’ai assez connu les confidences de cuisine d’inconnus chez qui je passe, pour savoir que beaucoup rêvent de partir. Mais comme le disait Brel, ce qui est difficile pour quelqu’un qui vit à Vilevorde (Belgique) et qui veut aller à Hong Kong, c’est pas d’aller à Hong Kong, c’est de quitter Vilevorde. « C’est ça qui est difficile. C’est que ça qui est difficile. » 

Musique : « Avalanche », Leonard Cohen. « She remembers », Max Richter.