Quelque chose tombe et ce n’est pas la nuit – MANUSCRIT

Ce dont ce projet a besoin : d’un éditeur ! Date de naissance : 2017.

Un photographe et d’une directrice de presse, qui mesurent l’écart entre leurs rêves de raconter le monde, et le réel. Chacun dans une lutte pour exister sans se trahir, ou en assumant ses trahisons.  Extraits ci-dessous.

C’est peut-être une promesse d’orage. Quelque chose que l’air annonce et à laquelle personne ne prête attention. Ça s’installe tranquillement. Ça a tout son temps.

(…)En lui perçait de plus en plus fort cette sensation accrue de n’être qu’une version de lui-même, parmi toutes celles qui vivaient en lui. La vie qu’on mène n’est qu’un possible qui a eu de la chance.

Pour la première fois il découvrait à quoi il participait chaque jour. Les visages fermés, les pieds qui savent où ils vont, cette sévérité avec laquelle tout ce monde marchait, se contournait les uns les autres pour ne pas se faire ralentir, le sérieux avec lequel tout cela avait lieu… comme s’il s’agissait de quelque chose d’important. On aurait dit des enfants dans leur cour de récré, appliqués, plongés dans leurs petits drames, alors que tout autour, le monde s’effondrait.

(…) Bien sûr, elle avait couché utile. Quelques mois avaient suffi pour ouvrir les bonnes portes. Les hétéros en couple la prenaient pour une expérience originale et savaient qu’ils ne risquaient pas le drame. Elle opérait froidement, avec un enthousiasme glacé. Elle n’avait plus rien à perdre. Seulement à se jeter dans une vie qui n’était pas la sienne, 

– Sois pas fâché, mon ange. Écoute, moi aussi j’ai voulu changer le monde. Des idées j’en avais à l’heure. Résultat (…) Le public bouffe ce qu’on lui donne à bouffer. Il ne cherche pas à être interpelé, il cherche à être conforté dans ce qu’il pense déjà. La vérité, les gens en veulent tant qu’elle leur dit qu’ils ont raison. Ils ne veulent pas être informés, ils veulent avoir l’impression d’être informés. 

– C’est à ça que tu passes tes journées ?

– Et une partie de mes soirées. 

– Qu’est-ce que t’as fait de la fille qui arpentait l’Argentine avec sa casquette militaire et son gilet de photographe trop grand pour elle ? 

– Je l’ai rangée dans mon album de souvenirs. Les rêves aussi ça vieillit, à force de se casser la gueule (…) Tu sais à quoi ça tient ? Au bon timing. Suffit pas d’avoir les bonnes idées, faut arriver au bon moment. Toi et moi on avait juste pas la bonne montre. N’oublie jamais : personne n’a besoin de toi. »