59 dans la nuit

Rien ne disait à ces cinquante-neuf lambeaux d’espoir que ce n’était pas le continent qu’ils avaient fui qui se dressait devant eux, que les vents ne leur avaient pas joué un tour, un demi tour. Quel bruit fait un rêve quand il s’effondre ? Pour eux, ce fut un bruit de moteur. 

J’ai écrit ce texte il y a presque 10 ans, alors qu’on ne parlait pas beaucoup des migrants qui se perdent en Méditerranée. Peu d’images avaient fait la une des journaux. 

Plus de dix personnes ont prêté leur voix pour réaliser cette oeuvre. Vous ne les entendrez que quelques secondes, mais sachez que pour ces quelques secondes, il a fallu des semaines d’échanges, d’enregistrements, de ré-enregistrements, et de travail. Toutes ces personnes ont connu l’exil, les uns dans ces bateaux, les autres dans de meilleures conditions. Je vous restitue ici la langue de chacun. 

02’55. « Je crois que j’ai vu quelque chose – SONINKÉ (langue d’Afrique de l’ouest)
– Tu dois rêver – PASHTO (langue d’Afghanistan)
– Non, moi j’ai rien vu – SONINKÉ
– Si – PASHTO
– Tes yeux te trompent – DARI (langue d’Afghanistan)
– Mais si je te dis, regarde bien – SONINKÉ»

04’04. Le mot « terre » est crié en darija (Maroc), turc, bulgare, bambara (Afrique de l’ouest), dari, kikongo (Afrique centrale), soninké et ahmaric (Éthiopie)

06’03. La voix qui crie dans le mégaphone en italien est celle d’un canadien italien d’origine éthiopienne. Il dit : « Attention, vous êtes sur la frontière italienne. Arrêtez le bateau. Vous êtes entrés illégalement sur le territoire italien. Nous sommes les gardes côtiers. Arrêtez immédiatement le bateau. Nous allons contrôler vos identités. Nous allons vous débarquer, on commence par les personnes à l’avant du bateau. S’il vous plaît, pas de temps à perdre. Levez-vous dans le calme et embarquez. » 

Merci à…
Mohamed Lotfi, réalisateur canadien marocain que j’ai rencontré à la prison de Bordeaux de Montréal.
Sinem, étudiante turque rencontrée à Lille, qui a passé bien du temps à traduire la berceuse et que nous avons enregistrée sous une couette ! Khalid Zampini pour la voix italienne. 

Merci à tous ceux qui ont crié le mot « terre »… : Rohullah Sadiqi, Demah Iazaz, Gael Arnaud, Tadese Worknh Nara.

Musique : « Standby », Erwann Kermorvant.