Éloges – manuscrit

Ce dont ce projet a besoin : d’un éditeur ! 

Au cœur d’un été toujours plus brûlant et toujours plus bruyant, que l’envie m’est venue de me pencher sur ce qui est en sursis, comme on se penche sur l’eau d’un lavoir où plus aucune parole ne résonne. Sans pleurnicher et sans revendiquer, juste pour regarder quelque chose s’en aller. 

Le rocher ne prétend pas arrêter le courant. Il peut seulement lui donner une forme, l’empêcher de se déverser tête baissée. Lui proposer de ralentir, de se détourner, une micro seconde. Il est peut-être la question que la montagne pose à la rivière.

Ainsi j’ai essayé de poser quelques rochers sur la rivière de notre époque. Sur ses déséquilibres, sa vitesse et sa direction unique. Interroger le temps présent depuis un autre temps. Interroger la société liquide par ce qui tient depuis longtemps à l’humain, et dont on se détourne. Pas pour dire c’était mieux avant, mais pour tenter de retrouver le chemin d’un équilibre, et donc de la paix. 

Ce manuscrit est une série d’éloges. Faire l’éloge, c’était peut-être prendre la pose du rocher. S’ancrer, se poser, interroger ce qui s’écoule à toute vitesse. C’est se tenir entre les trois temps : porter le passé de la montagne, se laisser sculpter par le présent, et inviter l’avenir.

EXTRAITS

Éloge de l’abondance

L’abondance n’est pas dans la joie d’accumuler. Elle n’est pas dans la satisfaction d’avoir des tomates en toute saison, ni dans celle de varier chaque année la destination de ses vacances. L’ère industrielle ⁄  La société de consommation nous a menti : l’accumulation de l’objet appauvrit l’expérience. L’abondance se rencontre dans le rapport qu’on entretient à l’objet, à la nourriture, ou au paysage avec lequel on entre en relation. Elle n’est pas dans ce qu’on possède, elle est dans la manière dont on jouit. Dans la joie de retrouver chaque année un fruit ou un légume que je n’ai pas mangé aux autres saisons, et que ceux qui en mangent toute l’année ne peuvent pas connaître, puisqu’ils en ont fait une habitude.

Elle n’est pas dans la répétition de la même expérience de restaurants, visites et boutiques de mes nombreuses destinations. Elle est dans ma capacité à aiguiser ma vision pour suivre les microchangements d’un paysage, qui m’offre alors toujours un spectacle nouveau. Alors elle accomplit quelque chose d’extraordinaire : elle fait de moi un sujet, plutôt que l’intermédiaire entre la fabrication d’un produit et sa vente. Je ne suis plus le réceptacle passif d’une offre éternelle, je suis l’acteur de mon rapport au monde.  L’abondance durable s’inscrit dans les limites du vivant, dans le peu et dans la juste mesure de ce qui est à prendre. Et elle est infinie dans notre capacité à nous en émerveiller, à en jouir et à la partager. La plus belle abondance qu’on puisse se souhaiter est enfant de la sobriété. C’est ainsi seulement qu’elle sera infinie. 

Éloge de la conscience

Il ne s’agit pas de suivre une morale dictée de là-haut contre bonne récompense. Elle n’est pas un énoncé à suivre, elle est une boussole qui me permet de m’affranchir. Car si nous la travaillons comme un muscle, la conscience est capable de nous rendre une force et un pouvoir d’agir que nous ne mesurons pas. En me reliant au monde, elle fait de moi une personne, et plus seulement un individu. Elle devient ma responsabilité, et même un privilège : celui de prendre soin du monde. De remettre du sens dans mes choix, de dire non, de me soucier de ce qui me dépasse. Elle me redonne le pouvoir d’appartenir. Elle a une puissance de transformation du monde qu’il nous reste encore à déplier.

Éloge de l’échec

On reconnaît souvent un grand artiste à la réponse qu’il donne quand il est interrogé sur son succès, quand il reconnaît ce qu’il doit à un ensemble de facteurs qui lui échappent. Il sait qu’il ne mérite pas plus que ceux qui, à talent et travail équivalents, n’ont pas bénéficié des mêmes circonstances. C’est là qu’on reconnaît aussi le bon journaliste : c’est celui accepte cette humilité face à la contingence. Les autres s’accrocheront à l’histoire qu’ils veulent vendre : l’artiste exceptionnel dont le talent a ébloui tout le monde, et qui ne pouvait que rencontrer le succès. 

Les rares histoires des personnes qui, parties de la misère la plus totale, sont parvenues au plus haut – les Charlie Chaplin, les Oprah Winfrey, les Quincy Jones – deviennent des produits qui se vendent très bien sur le marché médiatique et du développement personnel. Les formules j’ai toujours su que j’y arriverai, je n’ai jamais douté, ou encore j’agis bien, donc je vais y arriver deviennent des mantras. Je peux orienter ce qui s’accomplit dans ma vie, éviter aux chances qui se présentent de finir dans le caniveau, provoquer les rencontres fertiles. Si ça ne marche pas, c’est qu’il y a quelque chose en moi à corriger. Alors la réussite comme l’échec deviennent l’occasion d’affirmer la toute-puissante de l’individu face au chaos du monde.

Éloge du désespoir

Le désespoir, ça soulage. Quand une plante est sèche, elle pèse moins lourd. Alors je me mets à marcher léger. Ce n’est pas une nouvelle joie, c’est juste que je ne cherche plus l’horizon.  Les portes qui se ferment ne me font plus mal. Elles font ce qu’elles ont à faire, et je fais ce que j’ai à faire. L’eau qui coule de la montagne n’a pas de courage, elle est eau. Alors je continue. Pas parce que j’y crois encore, mais parce que je suis moi. Je marche sur la même route, mais plus du même pas. C’est comme si je ne marchais même plus pour moi. Mais alors, pour qui ? Pour quoi ? Pour quelque chose qui me dépasse. Ce que j’accomplis ne sert plus mon but, mes aspirations, mes envies, mais un grand élan auquel d’autres participent. Voilà qu’une grande vague m’emporte. Voilà que je ne cherche plus à obtenir ce que je mérite, mais simplement à faire ce qui est juste, dans la justesse de ce que je suis et la justice de ce dont le monde a besoin. Je ne suis qu’une partie de cette grande vague qui s’appelle espérance. 

Te voilà délivré de l’avenir. Tu as même acquis une confiance nouvelle, puisque tu ne dépends plus de lui pour ton bonheur. Tu pratiques un détachement investi. Pas celui du sage dans son monastère, ou du génie incompris dans sa tour d’ivoire. Mais plutôt le détachement du paysan qui, quand il plante une graine, sait très bien qu’elle peut ne pas germer. Il le sait d’expérience, pour toutes les tempêtes, les crues et les sécheresses qu’il a connues. Il n’a pas besoin d’y croire pour la planter. Il la plante, parce qu’il est paysan, et que c’est son geste-au-monde.

Éloge de la colère

La phrase d’agonie de George Floyd devenue un cri pour le droit des Afro-Américains de vivre en sécurité, le gilet jaune devenu un signe de ralliement de la France oubliée, le carré rouge qui élargissait le combat des étudiants du Printemps Érable à un mouvement social de tous et pour tous, les visages des bébés disparus affichés par les Grand-Mères de la place de Mai en Argentine, les parapluies de Hong Kong, l’orange de la révolution manquée en Ukraine, la torche vivante du marchand de légumes qui a allumé les Printemps Arabes… Quand un événement injuste est jeté sur les braises d’une rancœur, la colère devient force de ralliement et agent de transformation. Elle s’accroche à quelques mots, à une couleur, à un objet, et par lui elle rassemble les solitudes. 

La bonne colère peut être une aiguille qui nous permet de mesurer la qualité de notre engagement dans la société. Je parle bien de la colère généreuse, celle qui émerge du mal à l’humain qu’on peut ressentir devant les injustices. Celle qui n’est pas un tapage pour avoir de l’attention, mais juste  le cri des oubliés qui réclament justice et paix. La mauvaise colère est le langage qui reste à celui qui n’en n’a plus d’autre pour dire qu’il existe, et qu’il a mal. 

Éloge de la verticalité

Retrouver une verticalité n’est pas réimposer un ordre autoritaire et injuste. C’est au contraire rendre justice aux potentiels de chaque individu pour œuvrer dans le collectif, et c’est honorer les enjeux. C’est retrouver une colonne vertébrale, car les muscles ont besoin d’ossature pour faire bouger un corps. Dans plusieurs traditions de méditation, on apprend à méditer comme une montagne, comme l’océan et comme un coquelicot. Structure du minéral qui est posé, souplesse et mouvement du reflux et reflux de l’eau, et force de la tige qui se dresse vers la lumière. N’être que dans le flux, c’est aller nulle part. N’être que dans la structure, c’est ne pas épouser le mouvement du vivant. N’être que la tige qui se dresse, c’est le risque d’être asservi et de ne suivre que ce qui brille. Atteindre cet équilibre dans tous nos lieux, projets, rassemblements, c’est honorer les changements qu’il est urgent d’entreprendre et se donner les moyens de les articuler dans le concret

Éloge de la rigueur

Les yeux du musicien se ferment. Le comédien prend de l’épaisseur et devient plus grand que nature. Devant nous, la marionnette prend vie. Le boulanger pousse un soupir de satisfaction à chaque pain qu’il sort du four. L’artisan recule pour mieux regarder ce qui a pris forme sous ses doigts. L’entrepreneur a la gorge serrée en inaugurant ce qu’il a passé de longues soirées à imaginer sur son bureau. Le maître d’arts martiaux prend avec fierté la main de son élève qui vient pour la première fois de le faire tomber.

Il y a une harmonie à retrouver entre rigueur et flexibilité, entre persévérance et adaptabilité, entre le dépassement de soi et l’écoute de soi. C’est un équilibre délicat, mais c’est bien pour ça qu’il est à souhaiter, loin de ceux qui rejettent tout ce qui s’expérimente aujourd’hui, persuadés de la décadence inéluctable de nos sociétés, et plus confortables dans la nostalgie d’un temps idéalisé. Mais loin aussi de ceux qui pensent échapper à un système injuste et violent en mettant l’éducation au service de l’individu centré sur lui-même. Il y a un travail qui annihile et fait de l’individu une machine à reproduire, qui épuise les corps et vide la pensée. Et puis il y a l’asservissement à son seul plaisir, qui fait picorer de projet en projet, et fait de nous des gens de peu de parole sur qui on ne peut pas compter. L’un nous détruit, l’autre  nous perd. Entre les deux, il doit bien y avoir quelque chose à espérer. 

Éloge du vouvoiement

C’est pas cool, une personne qui veut vouvoyer. C’est même snob, car c’est refuser la proximité. Ça fait pas égalitaire, pas peuple. On se tutoie ? est pourtant la question la plus dictatoriale qui soit. Elle ne demande rien, elle impose. Soit tu dis oui et tu rentres dans un système de valeur qui décrète que tutoyer c’est être proche, décontracté, cool, ouvert, et vouvoyer c’est être distant, coincé, hautain. Soit tu dis non et tu vas tout de suite briser l’élan de l’autre vers toi. C’est aussi une question qui décrète ce qui devrait pouvoir advenir naturellement, au bon moment. Elle cueille un fruit avant qu’il soit mûr. Si on se mettait à regarder le vous et le tu d’après leurs potentiels, on verrait que après le tu, il n’y a rien, car on ne repasse pas du tu au vous. Dans le vous au contraire, il y a une promesse. Un tu dort dans le vous. Simplement, il prend le temps de s’ouvrir, si on lui donne assez d’eau et de soleil. 

On peut vouloir admirer de loin une vallée avant d’y descendre. Comme on peut vouloir faire durer le désir de loin avant de se toucher. La juste distance permet au peintre de saisir son sujet, au couple de tenir, à la proie de se protéger du danger. La distance n’est pas nécessairement froide. Deux comédiens sur un plateau qui se rapprochent trop détendent l’élastique émotionnel. Qu’ils s’éloignent l’un à cour, l’autre à jardin, et la tension est immense. Si la corde d’un instrument n’est pas tendue, elle ne sonne pas. 

Éloge de la parenthèse

Nous faisons la guerre au vide, peut-être parce que nous faisons la guerre à ce qui, au fond de nous, demande à exister. À ce qui se faufile quand même toujours dans les fissures du temps utile, quand on s’arrache à la tâche à accomplir, au temps à remplir, au geste qui définit notre statut. À l’arrêt de bus, dans une salle d’attente, dans l’ascenseur, dans la file d’attente, à la table de tous les cafés où on attend son rendez-vous et que le téléphone n’a plus de batterie. Entre les parenthèses de ce qu’on raconte. Dans nos gestes et nos regards, dans la longue inspire de cigarette prise à la pause, dans la tête enfouie dans sa BD de l’élève arrivé trop tôt devant la porte de la classe, dans les yeux pochés de la mère épuisée qui attend que son enfant sorte du cours de danse avant d’aller chercher l’autre au cours de dessin. C’est dans tous les regards encombrés qui essaient de ne pas se croiser dans les wagons du métro. Ils s’enroulent, se perdent, se fixent sur un point invisible. Les corps un instant s’abandonnent. Ici se raconte une autre histoire que ce qu’on nous apprend à être. Tout ce qui ne tient pas dans un CV, ni dans les pauvres phrases lâchées quand on nous demande ce qu’on fait dans la vie, ni dans celles qu’on s’échange au repas du soir. 

Quelle place offre-t-on à ce possible qui sort au seuil de nos vies ? Pour le rencontrer, il faut pouvoir lui donner rendez-vous là où cesse le vacarme de nos vies. Se mettre à écouter ce que racontent nos silences. Car dans les interstices de ce qui nous arrive, il y a ce qui se joue. Entre ce qu’on est et ce qu’on pourrait être, il y a un océan de possibles. 

Éloge de l’oreille

Quelle valeur accordons-nous aujourd’hui à ce que nous disons ? Et comment s’attendre à avoir des relations saines, au travail comme en intimité, dans nos échanges les plus banals comme la vente d’un bien sur internet, comme pour nos moments les plus précieux, si nous savons que ce que nous disons aux autres peut être à tout moment annulé, remis en question, pas pris au sérieux, oublié ou ignoré ?

Si la vision retrouvait sa juste place dans notre expérience, sans être sursollicitée, peut-être alors que bien des choses changeraient. En aiguisant à nouveau notre capacité à écouter, on trouverait d’un coup insupportables les bavardages des plateaux télé et les publicités. Peut-être même qu’on se mettrait à vendre plus de musique et d’histoires que de vêtements, d’accessoires et de maquillage ? Alors peut-être les rues de nos villes retrouveraient une variété de magasins que les dernières décennies ont liquidée. 

Simplement, que la domination du visuel ne vienne pas amputer notre rapport aux autres et au monde. Il s’agit de prendre soin de la diversité de nos modes d’accès  à ce qui nous entoure, que la domination du visuel risque de faire disparaître. Cette diversité n’est pas seulement pour enrichir notre expérience, elle est aussi une condition nécessaire à la paix sociale. Retrouver son oreille, c’est peut-être reprendre le chemin du vivre ensemble, et non plus du vivre à côté.

Éloge du silence

Comment faire valoir un droit au calme, si ce n’est au silence ? Est-ce que ce droit sera un jour reconnu au même titre que celui de l’espace sans tabac ? Le droit au vide, au rien, à l’ennui, à la non-activité, est inaudible, écrasé sous le droit de s’exprimer, et ses espaces seront bientôt aussi rares que l’eau potable. Quand la première neige se dépose en montagne, quelque chose fait silence pour qu’autre chose fasse musique.  Il en va ainsi de toutes les formes d’expression : il faut que quelque chose se taise pour qu’autre chose puisse parler, ou chanter

Nous avons trois silences à réapprendre : un silence d’humilité face au vivant, un silence de générosité ⁄ d’accueil face à l’autre, et un silence de vérité envers soi-même. Redonner place à ces silences, ce n’est pas une recommandation de spiritualités post-modernes à la mode pour bobos végétariens en quête de sens. C’est simplement, s’autoriser à respirer à nouveau nos vies. 

Éloge de la nuit

La nuit surtout nous apprend à devenir attentifs, vigilants. Peut-être alors qu’on retrouverait une qualité qui manque cruellement à notre monde : celle de veiller. Veiller les uns sur les autres, veiller sur ce qui nous entoure, être vigilant sur ce à quoi on participe. Une qualité qui ne peut pas vivre dans un monde dominé par le besoin de voir et d’afficher en permanence. Car les veilleurs ne sont pas des éclaireurs qui combattent la nuit. Au contraire, ils vivent avec la nuit, la respectent et l’accompagnent. Ils n’ont qu’une petite lampe sur les trottoirs qu’ils arpentent, qu’un phare au milieu de la mer, qu’une petite cabine de verre au bout d’un couloir sombre. Ils sont là, attentifs à nos peurs, à nos violences et à nos faiblesses. Si un jour nous pouvions redevenir veilleurs de nous-mêmes, veilleurs de nos voisins, veilleurs du vivant, nous aurons peut-être une chance. 

Éloge de la relation

Des points de suspension m’indiquent que tu hésites, un cœur ou un pouce levé que tu approuves. Mais rien ne me dit si tu hésites par crainte de m’offenser, si tu cherches à atténuer ton propos, ou si tu as encore des choses à dire. Je ne sais pas si ton pouce levé est un ok ça marche enthousiaste, poli ou résigné. Rien ne m’indique la couleur de ton silence quand tu tardes à répondre. Si tu prends le temps pour bien répondre, si ça t’es complètement sorti de la tête, ou si tu t’en fous. Tout peut être biaisé. Quand tu me poses une question, je peux y voir une remise en question. Quand tu me donnes une explication, je le prends comme une leçon. Quand tu exprimes ta souffrance, je le ressens comme une attaque. Quand tu me réclames une réponse, je te dis que tu me harcèles. Les malentendus sont si faciles dans les conversations désincarnées de nos tchats. Ici, nous sommes dans de l’échange d’information, y compris de l’information émotive.

La relation ne concerne pas l’individu, mais bien la personne, cette singularité qui résonne avec le monde. La relation ne m’éloigne pas de ce que je suis, bien au contraire. Elle me pose la question, profondément, de ce que je suis. Suis-je la force qui écrase les autres, qui les encourage, qui impose ou qui prend trop de place, qui les bloque ? Est-ce que je nourris ou est-ce que je perturbe le territoire où je marche ? Est-ce que je m’y fonds, m’y dépose, ou est-ce que je le pénètre violemment ? Il est urgent de retrouver notre relation aux autres, au monde et à nous-mêmes. De nous retourner sur notre passage dans la neige ou dans le sable, pour voir les traces que nous laissons dans la vie des autres.

Éloge de la présence

La présence n’a rien à voir avec la proximité spatiale ni le nombre d’heures passées ensemble. Beaucoup vivent des années ensemble sans être présents l’un à l’autre. Ils vivent à côté, en partageant la même table et le même lit. Au contraire, il arrive qu’on voit quelqu’un une fois toutes les on-ne-sait-plus-combien, mais sa présence est si intense, qu’elle nous nourrit pour longtemps. Ou bien elle nous fait peur, et nous préférons revenir à notre carence quotidienne. 

La présence est un mode de relation au monde, qui peut s’appliquer partout et dans n’importe quelle condition On peut tout à fait être présent à la rue bruyante où on vit et à l’effervescence de son quartier, comme on peut consommer la forêt, la montagne, ou la méditation. 

Éloge de la diversité

Intégrer la diversité, c’est quitter le confort de ses certitudes. Car rien n’est plus inconfortable que d’entendre dire que ce qui nous paraît important n’est pas une priorité, ou que ce qu’on croit désirable ne l’est pas. Découvrir d’autres manières de faire, de penser et de ressentir, est un peu comme l’air marin ou celui des montagnes : la première fois, il donne le vertige. Avec le temps, il développe les poumons et la santé. La diversité est un muscle qui se travaille avec le temps, qui se crispe si on ne l’a pas développé jeune, et qui parfois prend une sacrée crampe. Alors on se réfugie un temps dans ce qui nous est familier, on s’y repose, et souvent, on s’y endort.

Il s’agit simplement d’avoir le réflexe de cette gymnastique pour donner de la profondeur, de la perspective et des contrastes à son point de vue sur le monde. Pour que toujours ma singularité sache où elle se situe dans un monde complexe et mouvant. Alors je redeviens une personne qui appartient au monde, et ma singularité est participante. Au lieu d’être un individu campé sur ses certitudes et dont la singularité se construit dans une relation au monde figée, exclusive et excluante.