Analyses

Nuit debout1

Chanson pour la Nuit Debout, « Un homme qui vient », à écouter en cliquant sur la photo 

 

 

 

Jeudi 38 mars 2016

Dans ce pays, le rêve est difficile. Je ne parle pas du rêve qui se chante derrière un slogan et s’éteint une fois rentré chez soi, une fois l’euphorie passée, ni de la vague envie qui dort dans un lieu qu’on appelle un jour, quand j’aurai le temps. Je parle d’un rêve qui s’implante dans le réel. Un rêve qui connaîtra des jours maigres, qui trébuchera, qui se reformulera. Un changement qui ne se déclare pas, mais qui s’essaye, les mains dans le cambouis du quotidien. C’est un rêve moins scintillant que celui des cris de guerre et des appels à la révolution. Il ne produit qu’une rumeur qui gonfle, et vient s’échouer sur nos paillassons, à l’entrée de nos vies. Elle s’étouffera peut-être, à force de se faire marcher dessus par tous ceux qui ont plus urgent à faire.

C’est un pays où les gens passent plus de temps à fustiger ce qui ne va pas qu’à proposer des alternatives, où l’on dit plus facilement “Le probème c’est…” plutôt que “La solution serait…”. Et pourtant… c’est de ce pays qu’est en train de gronder une rumeur, celle d’un rêve qui se réveille, et qui passe sa Nuit Debout.

Il est facile de dire ce que nous voulons – une vraie démocratie, l’égalité des chances, le respect de la terre – et encore plus facile de dire ce que nous ne voulons pas. Bien plus difficile de dire comment nous voulons y arriver. Car voilà qu’il faut discuter, négocier, évaluer, faire avec le réel.

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Pourtant, partout dans le monde, et ici aussi, des semeurs cultivent le changement. Manger autrement, se chauffer autrement, éduquer autrement, vivre ensemble autrement, s’informer autrement. Ils voient leurs aînés, leurs voisins de rue, de métro ou de bureau, n’être que les rouages d’un système auquel ils ne croient plus. Les miroirs sont brisés : les citoyens ne se reconnaissent plus dans leurs élus, dans leurs médias, dans leurs écoles. Et pourtant… pourtant ils votent encore sans conviction, ils écoutent encore la messe de 20 heures et disent à leurs enfants de bien faire leurs devoirs. Il sera toujours plus facile de changer une loi que de changer une habitude, une indifférence ou une peur. Chaque jour, les semeurs luttent contre ces ennemis, bien plus redoutables que ceux dont on veut bien parler.

La génération du Grand Écart

Et moi dans tout ça ? Moi la jeunesse, moi l’avenir, moi Demain ? On m’a collé sur le front bien des étiquettes, mais elles sont tombées les unes après les autres. Ça doit être le réchauffement climatique qui le fait transpirer.

On me parle d’une génération Y, à laquelle j’appartiendrais de par mon année de naissance et mon utilisation supposée des nouvelles technologies. Ou d’une catégorie sociale – jeune, sans emploi, précaire – basée sur mon statut économique. On me parle aussi d’une communauté culturelle, basée sur le pays d’origine de mes parents, et on m’appellera Français d’origine… Pourtant, c’est loin de ces catégories que se retrouvent les gens qui font partie de ma génération, celle qui ne se définit ni par l’âge, ni par la profession ni par le statut socio-économique, ni par l’origine ethno-culturelle. Ils ont 9 ans, 25 ans, 75 ans, vivent au coeur de Paris ou dans une bergerie au pied d’une montagne. Ils sont ouvriers, paysans, professeurs, artistes, chercheurs, médecins, croyants ou athées; leurs origines culturelles chatouillent tous les points cardinaux. Qu’est-ce qui nous lie ? Qu’est-ce qui forme notre nous ?

C’est une posture partagée. Le geste que nous imprimons dans le monde, celui par lequel un sculpteur pourrait nous saisir. La génération rêveuse et combattante de 68 était celle du poing levé et des yeux fermés. La nôtre sera celle qui voit ses pieds s’écarter à mesure que grandit une faille qui va bientôt séparer deux mondes. Celui du capitalisme consumériste en train d’agoniser, et l’autre, celui qui ne connaît pas encore son nom. Un monde où nos activités – manger, se maquiller, se divertir, se déplacer – respectent le vivant, où chacun réapprend à travailler avec son corps, s’inscrit dans le local et l’économie circulaire, habite le temps au lieu de lui courir après. Un monde où les nouvelles technologies n’effacent pas la présence aux autres, et où la politique s’exerce au quotidien par les citoyens.

C’est un monde qui jaillit du minuscule et du grandiose ; du geste dérisoire d’un inconnu qui se met à nettoyer la berge d’une rivière aux Pays-Bas, et du projet démentiel d’un ingénieur de dix-neuf ans pour nettoyer les océans avec un immense filtre.

citation2 Chacun choisit son geste pour répondre à la crise : beaucoup attendent que ça passe, et ferment les yeux en espérant ne pas se retrouver sur la touche. D’autres, inquiets de voir s’amenuiser les aides et les indemnisations, s’acharnent à colmater les brèches d’un monde en train de se fissurer. Ils descendent dans la rue pour préserver le peu que le système leur laisse pour survivre. Certains réclament un vrai changement, pendant que d’autres, loin des mouvements de foule, l’entreprennent chaque jour. Quand les deux se rencontreront, ce sera peut-être le début de quelque chose.

À la fin de chaque journée, je ressens toujours la même courbature. C’est le muscle de l’humeur qui tire. Je fais le grand écart, entre enthousiasme et désespérance. J’ai l’espoir qui boite. On avance comme on peut.

J’avance en boitant de l’espérance

Chaque semaine, j’entends parler d’un nouveau média – une revue papier à cheval entre le magazine et le livre, un journal numérique sans publicité, une télé qui aborde les sujets dont on ne parle pas. Des gens qui cherchent une autre manière de comprendre le monde, qui pensent transversal et qui prennent le temps de déplier les faits. Et chaque soir pourtant, je vois la même lumière bleutée faire clignoter les fenêtres à l’heure de la messe de 20 heures. Dans une heure, ce sera le Grand Débat. La Grande Dispute de ceux qui nous gouvernent. Les voilà penchés au-dessus du lit de notre société malade, comme ces médecins qui débattaient pendant des heures sur la façon de bien faire une saignée.

– Il faut tirer la croissance par le coude gauche !

– Non ! Par le droit !

– C’est ce que vous répétez depuis vingt ans, et regardez le résultat ! C’est par le troisième orteil qu’il faut la tirer ! Et le chômage il faut le réduire en lui faisant subir un régime drastique !

– Certainement pas ! Il faut lui tronçonner les cervicales ! Il perdra d’un coup vingt centimètres !

– Si vous faites ça vous allez avec une repousse par les pieds ! la seule solution c’est d’attaquer le problème aux extrêmités : élaguer les membres inférieurs et postérieurs, 2 cm par an.

Droite, gauche, centre essayent de nous faire croire qu’ils ne sont pas d’accord.

Je fais défiler la roulette de ma souris. Ça y est, Boyan Slat, dix-neuf ans, qui avait lancé l’idée d’un filtre géant pour nettoyer les océans, a obtenu la première validation de son expérience. Je souris, et fais défiler la page. Prochain article : Berta Caceres, une femme qui luttait contre la construction d’un barrage sur des terres autochtones a été assassinée dans les Honduras. Mes mâchoires se resserrent. Mon doigt hésite. Sur quel article cliquer ? Vers quel côté de la fente aller ? Les deux visages se font face devant mes yeux. Deux combattants, deux espérants, qui nous offrent à la fois toutes les raisons d’y croire, et toutes les raisons de renoncer. Tant pis, je cliquerai plus tard. J’ai un rendez-vous. C’est important, les rendez-vous. Surtout à Paris.

En sortant je descends mon sac de cartons, papiers et plastique. La beine à recyclage est pleine à craquer. Tant pis, je vide mon sac dans la poubelle. Dans la rue, mon téléphone sonne. Pas le temps de mettre l’oreillette. Je m’enfile quelques ondes dans le cerveau. Au bout du fil, un ami qui vit dans un hameau de douze habitants dans le sud : “Depuis quatre jours on s’est occupé à sauver un magnolia centenaire de la tronçonneuse municipale”. Ils étaient quatre, ils se sont enchaînés à l’arbre. Le magnolia est sauvé – Je souris. Mais quelque chose m’aveugle. C’est le panneau publicitaire à l’entrée du métro. Cet écran consomme autant que deux foyers – Je me crispe. L’année dernière, la municipalité de Grenoble n’a pas renouvelé les contrats avec les publicitaires, et les remplace progressivement par des arbres – Je souris. Une dizaine de chaussures Converse et Nike me ralentissent. Un groupe d’adolescents. Les bouteilles de Coca et de Sprite dépassent de leurs sacs plastiques. Ils se passent un sac de chips et une barquette de Fingers au Nutella. Il paraît que c’est pour eux qu’il faut qu’on se batte – Je me crispe. Il y a deux semaines, Ari Jónsson, un étudiant en design de produits islandais, a présenté son invention : une bouteille en bioplastique qui se dégrade en fertilisant naturel – Je souris. J’avance en boitant de l’espérance.

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Serait-il impossible de vivre debout ?

Depuis une semaine, des milliers de personnes ont décidé de se mettre debout. Sans porte-parole, sans leader charismatique – par manque ou par choix ? – comme pour dire que le mythe de l’homme providentiel était de l’autre côté, et qu’il fallait trouver autre chose.

Je ne sais ce qui transforme une manifestation en mouvement populaire. Je sais que le vote d’une foule n’est pas la démocratie. Qu’un slogan n’est pas une proposition. Qu’il faut de l’humilité pour que sa parole porte loin. L’art de la parole publique n’est pas de parler de soi devant les autres, mais de parler des autres comme de soi. Je sais que si tous ceux qui se sentent dépossédés de leurs droits se retrouvent pour parler, c’est déjà beaucoup. Je sais que Paris n’est pas la France, et que beaucoup d’idéaux écrits sur le bitume sont déjà mis en oeuvre dans les campagnes, loin des micros des grands médias. La Nuit Debout n’a peut-être pas vocation à devenir un parti politique ou un mouvement tel que nous le comprenons dans le système actuel. Elles sont le laboratoire d’exploration d’un changement démocratique. Le défi sera sans doute que cette prise de parole et ces rencontres citoyennes perdurent dans le quotidien de chacun, une fois les occupations de la rue passées. À moins que la rue ne devienne un lieu de rendez-vous régulier. Elles sont un laboratoire où tous les possibles sont permis. Il faut avoir le courage de donner une chance à ses rêves. Histoire de dire qu’au moins, on aura essayé.

photo : Francis Azevedo

 

Sarah Roubato vient de publier Lettres à ma génération chez Michel Lafon. Cliquez sur le livre pour en savoir plus et ici pour lire des extraits. livre sarah

 

Analyses

Sarah Roubato vient de publier Lettres à ma génération chez Michel Lafon. Cliquez sur le livre pour en savoir plus et ici pour lire des extraits.livre sarah

Publié dans mediapart

 

D’abord il y a eu la sidération et le silence. Puis l’hypnose devant les images qui tournent en boucle. Ensuite les larmes et les cris, les marches et les bougies. On écoute les déclarations, les commentaires, les analyses, les avis, les témoignages. On parcourt les articles et les billets. Tout cela se perd dans un bourdonnement sans fin.

Et la barre sur mon front est toujours là. Mes sourcils sont douloureux de s’être trop froncés. Depuis le 13 novembre je promène avec moi une tension que je n’arrive pas à situer dans mon corps. Ce n’est pas la boule au ventre, ce n’est pas la gorge serrée. C’est autre chose. Quelque chose qui ne me laisse pas tranquille. Quelque chose que ni l’analyse des spécialistes ni les documentaires approfondis, ni même un film de Chaplin n’apaisent. On a beau être entouré, on se sent vertigineusement seul. Impuissant.

Chacun essaye de trouver une réponse. À son niveau, à sa manière. Les questions se pressent : Qu’est-ce qui nous arrive ? Comment vivre avec ce qui est arrivé, avec ce qui ne manquera pas d’arriver encore ? Quelles seront les conséquences des frappes en Syrie ?

J’ai souvent remarqué, en écoutant des débats, qu’il y avait plus de malentendu sur la manière dont une question était posée et sur le sens des mots employés, que sur le fond du problème. Les personnes que l’on présente comme ayant des opinions opposées se situent souvent en fait à différents niveaux de la question.

La question est un exercie qui apaise. Car il prend du temps, du recul. Il demande de remuer les mots et les choses, de les retourner, de les mettre en perspective, de les affiner. Des questions que l’on peut poser à nos dirigeants et à nous mêmes.

Chaque citoyen est égal devant la question. On peut la poser dans sa classe, son groupe d’amis, ses collègues de bureau, ses clients, sa famille, ses voisins, son équipe de sport, ses codétenus, son voisin de chambre d’hôpital. Car chaque espace est un lieu de citoyenneté et de construction de la société.

Une question se déroule comme une vague. Elle en pousse une et en engendre une nouvelle.

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Sommes-nous en guerre ? 

Dans les livres d’histoire, on m’a appris que la guerre était un conflit déclaré entre plusieurs groupes (États ou autres) qui se reconnaissent mutuellement et qui parlent le même langage. C’est ce que dit la Convention de Genève. Depuis la Seconde Guerre Mondiale, elle ne concerne pas que des militaires. Mais les textes de loi ont toujours un train de retard sur la réalité. Sommes-nous en train d’assister à la naissance d’un nouveau type de guerre ?

Et pourquoi je ne me suis pas posée la question quand on me disait que la France faisait des « opérations de maintien de la paix » au Mali ou au Sahel ? Parce que ça ne me touchait pas, parce que ça n’avait pas lieu sur le sol national ? Parce que le président n’avait pas encore prononcé le mot ? Maintenant que je sais qu’il y a un lien entre là-bas et ici, je me pose la question :

 Le peuple doit-il être consulté pour lancer des opérations militaires ? Dans notre Cinquième République, le président, chef des armées, est le seul à décider d’une intervention à l’étranger. Il est vrai que si tous les gouvernements se mettaient à demander à leur peuple s’ils veulent partir en guerre à l’autre bout du monde, on risquerait fort de diminuer considérablement les conflits. Le changement de Constitution nécessaire n’est peut-être pas celui qu’on croit.

Si nous sommes en guerre, c’est que nous avons un ennemi. Mais au fait, qui est notre ennemi ? On nous dit que l’ennemi c’est le terrorisme. Mais le terrorisme n’est ni une personne, ni un groupe de personnes, ni une chose. Ce n’est ni une pathologie ni un état d’être. L’acte de semer la terreur parmi les populations civiles dans le but d’asseoir un pouvoir économique, politique, territorial, religieux, idéologique, n’a pas été inventé par les djihadistes. Les états, les services secrets, les groupes indépendantistes, les groupes religieux, ont utilisé le terrorisme pour défendre leurs causes (les Tamouls au Sri Lanka, les Palestiniens en Israël, la France en Algérie, les USA en Union Soviétique). Dire que notre ennemi c’est le terrorisme, c’est comme si on disait en pleine guerre froide que notre ennemi c’est le nucléaire.

 Les gens de Daech sont-ils des barbares, des fous, des monstres ? Un ennemi, ça se nomme, ça s’identifie, et ça se comprend. Si je dis « ce sont des barbares », je les mets à distance, et je me condamne à ne pas les comprendre (bar-bar, la langue des étrangers de la cité qu’on ne pouvait pas comprendre). Si je me souviens bien de mes cours d’histoire, il me semble que les pires atrocités sont en général parfaitement planifiées par des gens rationnels qui suivent leur logique jusqu’au bout. Puisqu’il est à la mode de voir en Hitler l’incarnation du mal absolu, n’avions-nous pas pris Hitler pour un illuminé, au lieu de le prendre au sérieux ?

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Si je considère que les gens de Daech ne sont ni des fous ni des barbares, alors je m’autorise à m’interroger sur eux. Quelle est l’idéologie de Daech ? Je sais que cette idéologie est absurde, méprisante de la vie, mais je vais m’efforcer de la comprendre. S’ils méritent tout mon mépris, les djihadistes méritent aussi toute mon attention. Daech ne sera pas éternel. Mais son idéologie pourra peut-être lui survivre. Et comme toute idéologie se fonde sur les manquements d’autres idéologies,  je me demande : À quoi s’oppose Daech ? Contre qui et quoi exactement Daech lutte-t-il ?

Ceux qui ont commis les attentats de Paris étaient membres de Daech. J’en oublierais presque qu’ils étaient aussi – et avant – Français. Et je me demande alors : Qu’est-ce qui attire une partie de nos jeunes dans le Djihad ? Si le sol français est un terreau fertile pour le djihadisme, c’est bien qu’il manque quelque chose dans l’idéal de vie que nous proposons à notre jeunesse. Alors quel est ce grand vide que le djihadisme vient combler pour une partie de nos jeunes ? Oui : les auteurs de ces attentats étaient aussi « nos jeunes ».

djihad2 À quels endroits notre société a-t-elle failli ? C’est peut-être la question la plus inconfortable, car elle inclut d’un coup tous les citoyens. Mais s’il y a une chose que je déteste, c’est bien l’impuissance. Je préfère croire qu’il y a quelque chose dans la société à laquelle je participe qui ne va pas, plutôt que de croire que c’est uniquement la faute de nos dirigeants. Parce que si j’ai une part de responsabilité, alors je peux agir. Et je crois savoir que tout événement majeur a deux bases : le macro (les grandes tendances politiques, géostratégiques, économiques du monde) et le micro (les petits gestes, le vivre-ensemble, le quotidien). Et que nous vivons dans un monde où les actions les plus individuelles sont mystérieusement reliées aux phénomènes mondiaux.

 Avons-nous été attaqués pour ce que nous sommes, pour ce que nous représentons ou pour ce que nous faisons ? Sans doute un peu des trois. Je m’étonne simplement qu’on ne dise pas que les Tunisiens, les Libanais et les Russes ont été attaqués pour leurs valeurs de liberté, de paix, de tolérance et pour leur joie de vivre. Peut-être que leurs dirigeants le font, dans chacun de ces pays. En tous cas les grandes villes du monde n’ont pas porté leurs couleurs et les orchestres n’ont pas joué leur hymne.

 Au fait, quel est donc ce nous qui a été attaqué ? Ce nous qu’est la France inclut des Français de confession musulmane. Ceux qu’on appelle très maladroitement « les Musulmans de France ». Je me souviens avoir entendu une auditrice de France inter se présenter ainsi (je cite de mémoire car l’émission n’est plus accessible) : « Bon je ne sais pas comment je vais me présenter… je suis française… disons… de culture arabo-musulmane ». Elle tenait ces mots comme s’ils lui brûlaient les doigts. Car une autre question se pose depuis les attentats : Les Français de confession ou de culture musulmane devraient-ils réagir pour manifester leur désapprobation des crimes qui sont commis au nom de l’islam ? À la question d’un journaliste : « Madame, seriez-vous d’accord pour que s’organise une marche des Musulmans de France ? », elle a répondu : « Mais Monsieur nous étions là à la marche du 11 janvier, seulement vous ne nous voyez pas. Forcément, comment vous identifiez un musulman ? Ceux qui sont intégrés ce sont précisément ceux qu’on ne voit pas. »

Je n’oserai pas apporter de réponse à cette question. Je sais seulement qu’elle pose problème de par le fait même d’identifier un groupe qui s’appellerait « Musulmans de France ». Parce que la France ne repose pas sur un modèle multiculturel dans lequel les citoyens sont identifiés par leur appartenance ethnique culturelle ou religieuse, comme c’est le cas au Canada ou aux États-Unis. La France ne reconnaît que des citoyens. Et pourtant elle semble demander à une communauté qui n’existe pas de se manifester. Pourtant, je peux me poser la question : Si des gens tuaient au nom de quelque chose dans lequel je crois ou que je suis – au nom des femmes, au nom des brunes, au nom des musiciens, au nom de la protection de l’environnement – est-ce que je ne répondrai pas, avant tout en tant que citoyenne, mais aussi en tant que femme, brune, musicienne, soucieuse de l’environnement ? Il est vrai qu’on ne demande pas à tous les Chrétiens de manifester lorsque les milices anti-Balaka de Centrafrique tuent des milliers de musulmans. Ni à tous les Juifs d’exprimer leur désapprobation des crimes commis par les colons ultra-religieuxen Palestine.

Les personnes de confession musulmane ont la malchance de vivre à une époque qui ne parle que d’eux. Je ne peux qu’imaginer leur malaise, leur peur et leur colère. Leur envie qu’on les laisse tranquilles. Et aussi leur désir d’agir, de reprendre possession de leur culture et de leur identité, pour léguer à leurs enfants un monde où ces questions auront été, si ce n’est résolues, au moins dénouées. Le travail qui les attend est immense pour repenser leur identité, leur rapport à leur livre, leur manière de vivre leur foi.  J’espère qu’ils dépasseront la peur et la rancœur pour s’interroger, eux aussi.

Je ne peux pas m’interroger à leur place. Je ne peux qu’éviter de dire des bêtises sur ce que je ne connais pas. Par exemple en me demandant que sont les cultures islamiques et leurs peuples si différents ? Il me faut pouvoir penser l’islam en dehors des étiquettes vides de sens « islam modéré », « vrai islam », « islam radical ». Lorsque je saurai la différence entre le wahabisme et le salafisme, entre les différentes mouvances du sunnisme et du chiisme, lorsque je connaîtrai l’histoire du djihadisme, lorsque je saurai que ce qu’on appelle « le monde musulman » inclut des Arabes, des Turcs, des Afghans, des Kurdes, Indonésiens (etc.), lorsque j’aurai ouvert le Coran et que je pourrai le lire avec un regard historique, anthropologique et critique, je pourrai commencer, peut-être, à tisser un début d’opinion.

En attendant, je m’interroge. Aujourd’hui poser des questions, c’est tout ce que je suis capable de faire.

 

Analyses

 

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Cette lettre a donné naissance au livre Lettres à ma génération publié chez Michel Lafon. Pour commander le livre, cliquez sur le livre. Pour lire des extraits, cliquez ici.

Lettre publiée dans

mediapart

 

 

 

 

 

Je ne suis qu’une lettre d’opinion, pas un essai. Je suis juste une petite lampe de poche qui a essayé d’éclairer ce qui était trop souvent laissé dans l’ombre. Alors oui, mon étroit faisceau lumineux laissera bien d’autres choses dans l’ombre. Cela ne veut pas dire qu’elles ne sont pas importantes. Simplement que parfois pour ramener la corde à un juste milieu, il faut tirer très fort d’un côté.

Salut,

On se connaît pas mais je voulais quand même t’écrire. Je suis française, je n’ai pas trente ans. Paris, c’est ma ville.

J’ai grandi au milieu de gens de beaucoup de nationalités, cultures et religions différentes.  Je suis autant républicaine et transculturelle. J’ai « des origines » comme on dit maghrébines. Surtout, je suis pisteuse de paroles et d’histoires. J’essaye de raconter un petit bout du monde, de mettre en mots les puissances endormies que tant de gens portent en eux.

J’ai toujours adoré les terrasses. La dernière fois que j’étais à Paris j’y ai passé des heures, dans les cafés des 10e 11e et 18earrondissements.  À  la terrasse, je m’offre le luxe d’aller nulle part. Je prends de mes nouvelles au cœur d’une ville qui ne sait pas que j’existe. Ni dehors ni dedans, je cultive l’attente au milieu du passage. Ni vraiment dans la rue, ni tout à fait quelque part, j’ai rendez-vous avec la ville entière. J’y ai écrit un livre qui s’appelle Chroniques de terrasse.  Il est maintenant quelque part dans la pile de manuscrits de plusieurs maisons d’édition. Aujourd’hui j’aurais envie d’y ajouter quelques pages.

Pourtant aujourd’hui, ce n’est pas en terrasse que j’ai envie d’aller.

Depuis plusieurs jours, on m’explique que c’est la liberté, la mixité et la légèreté de cette jeunesse qui a été attaquée, et que pour résister, il faut tous aller se boire des bières en terrasse. Je ne suis pas sûre que si les attentats prévus à la Défense avaient eu lieu, on aurait lancé des groupes facebook « TOUS EN COSTAR AU PIED DES GRATTE-CIELS ! » ni qu’on aurait crié notre fierté d’être un peuple d’employés et de patrons fiers de participer au capitalisme mondial, pas toi ?

On nous raconte qu’on a été attaqués parce qu’on est le grand modèle de la liberté et de la tolérance. De quoi se gargariser et mettre un pansement avec des coeurs sur la blessure de notre crise identitaire. Sauf qu’il existe beaucoup d’autres pays et de villes où la jeunesse est mixte, libre et festive. Vas donc voir les terrasses des cafés de Berlin, d’Amsterdam,  de Barcelone, de Toronto,  de Shanghai, d’Istanbul, de New York !

À écouter et lire les nombreux spécialistes, il me semble qu’on a plutôt été attaqués parce que la France a bombardé certains pays en plongeant une main généreuse dans leurs ressources, parce que la France est accessible géographiquement, parce que la France est proche de la Belgique et qu’il est facile aux djihadistes belges et français de communiquer grâce à la langue, parce que la France est un terreau fertile pour recruter des djihadistes.

Oui je sais, la réalité est moins sexy que notre fantasme. Mais quand on y pense, c’est tant mieux, car si on a été attaqué pour ce qu’on est, alors on ne peut pas changer grand chose. Mais si on a été attaqué pour ce qu’on fait, alors on a des leviers d’action :

– S’engager dans la recherche pour trouver des énergies renouvelables, car quand le pétrole ne sera plus le baromètre de toute la géopolitique, le Moyen-Orient ne sera plus au centre de nos attentions. Et d’un coup le sort des Tibétains et des Congolais de RDC nous importera autant que celui des Palestiniens et des Syriens.

– S’engager pour trouver de nouveaux modèles politiques afin de ne plus déléguer les actions de nos pays à des hommes et des femmes formés en école d’administration qui décident que larguer des bombes (car parfois les bombes c’est bien il paraît), ou qu’on peut commercer avec un pays qui n’est finalement qu’un Daesh qui a réussi.

– Les journalistes ont montré que les attentats ont éveillé des vocations de policiers chez beaucoup de jeunes. Tant mieux. Mais où sont les vocations d’éducateurs, d’enseignants, d’intervenants sociaux, de ceux qui empêchent de planter la graine djihadiste dans le terreau fertile qu’est la France ? Si elles sont aussi nombreuses que les vocations policières, alorson peut se demander pourquoi les journalistes ont choisi de se focaliser dessus. Si les jeune se tournent plutôt vers les vocations policières qu’éducatrices, on peut se demander ce que cela traduit.

Si la seule réponse de la jeunesse française à ce qui deviendra une menace permanente est d’aller se boire des verres en terrasse et d’aller écouter des concerts, je ne suis pas sûre qu’on soit à la hauteur du symbole qu’on prétend être. L’attention que le monde nous porte en ce moment mériterait qu’on aille bien plus loin.

Je ne suis pas en train de te dire qu’il ne faut pas y aller, en terrasse ! Bien sûr qu’il faut y aller, comme il faut aller à la boulangerie, à la bibliothèque, au cinéma. Il faut tout simplement vivre. Parce qu’on n’a pas le choix. C’est une résistance symbolique. Mais dans toute situation de « guerre » ou en tous cas, exceptionnelle, il faut faire des choix pour être le plus efficace possible. Et dans l’imaginaire médiatique, je n’ai pas vu de mouvement « parlons-nous ! » ou « aidons-nous ! ». Si un jour nos enfants se penchent sur cet épisode, je ne me sentirais pas fière que le symbole de cette résistance ait été l’image de moi en train de boire un verre. J’aurais préféré une main tendue, surtout une oreille qui s’ouvre.

Alors c’est peut-être un peu tôt, mais il n’est jamais trop tôt pour s’interroger. Je me demande si on ne peut pas profiter de ce besoin d’être ensemble pour redéfinir l’image que les médias projettent de ce que nous sommes, nous les jeunes. Je ne me suis pas reconnue dans le symbole médiatique de mixité, de liberté et de fête qui a été affiché dans les médias de masse. Peut-être que toi aussi, d’ailleurs. Parce que je sais bien que tu as mille visages. Que certains agissent déjà, chaque jour au quotidien, en cherchant un autre modèle de société. Ceux-là souvent n’ont pas le temps de brandir des symboles. Je sais que d’autres voudraient bien agir mais ne savent pas comment faire. Et que d’autres ne se sont pas posés la question. Ce sont bien sûr à ces deux derniers que j’écris.

 

Ma mixité

Qu’on soit maghrébin, français, malien, chinois, kurde, musulman, juif, athée, bi homo ou hétéro, nous sommes tous les mêmes dès lors qu’on devient de bons petits soldats du néo-libéralisme et de la surconsommation. On aime le Nutella qui détruit des milliers d’hectares de forêt et décime les populations amazoniennes, on achète le dernier iphone et on grandit un peu plus les déchets avec les carcasses de nos anciens téléphones, on préfère les fringues pas chères teintes par des enfants du Bengladesh et de Chine, on dépense des centaines d’euros en maquillage testé sur les animaux et détruisant ce qu’il reste de ressources naturelles.

Ma mixité, ce sera d’aller à la rencontre de gens vraiment différents de moi. Des gens qui vivent à huit dans un deux pièces, peu importe leur origine et leur religion. Des enfants dans les hôpitaux, des détenus dans les prisons. Des vieilles femmes qui vivent seules. De ce gamin de douze ans à l’écart d’un groupe d’amis, toujours rejeté parce qu’il joue mal au foot, qui se renferme déjà sur lui-même. Des ados dans les banlieues qui ne sont jamais allés voir une pièce de théâtre. Ceux qui vivent dans des petits villages reculés où il n’y a plus aucun travail. Les petits caïds de carton qui s’insultent et en viennent aux mains parce que l’un n’a pas payé son cornet de frites au McDo. D’habitude quand ça arrive, qu’est-ce que tu fais ? Tu tournes la tête, tu ris, tu te rassures avec un petit « Et ben ça chauffe ! » et tu retournes à ta conversation. Si tous ceux qui ont répondu à l’appel Tous en terrasse ! décidaient de consacrer quelques heures par semaine à ce type d’échange… il me semble que ça irait déjà mieux. Ça apportera à l’humanité sans doute un peu plus que la bière que tu bois en terrasse.

Ma liberté

Je ne vois pas en quoi faire partie du troupeau qui se rend chaque semaine aux messes festives du weekend est une marque de liberté. Ma liberté sera de prendre un autre chemin que celui qui passe par l’hyperconsommation. D’avoir un autre horizon que celui de la maison, de la voiture, des grands écrans, des vacances au soleil et du shopping.

Ma liberté sera celle de prendre le temps quand j’en ai envie, de ne pas m’affaler devant la télé en rentrant du boulot, d’avoir un travail qui ne me permet pas de savoir à quoi ressemblera ma journée.

Ma liberté, c’est de savoir que lorsque je voyage dans un pays étranger je ne suis pas en train de le défigurer un peu plus. C’est vivre quelque part où le ciel a encore ses étoiles la nuit. C’est flâner dans ma ville au hasard des rues. C’est avoir pu approcher une autre espèce que la mienne dans son environnement naturel.

Ma liberté, ce sera de savoir jouir et d’être plein, tout le contraire des plaisirs de la consommation qui créent un manque et le besoin de toujours plus. Ma liberté, ce sera d’avoir essayé de m’occuper de la beauté du monde. « Pour que l’on puisse écrire à la fin de la fête que quelque chose a changé pendant que nous passions » (Claude Lemesle).

Ma fête

Ma fête ne se trouve pas dans l’industrie du spectacle. Ma fête c’est quand j’encourage les petites salles de concert, les bars où le musicien joue pour rien, les petits théâtres de campagne construits dans une grange, les associations culturelles. Passer une journée avec un vieux qui vit tout seul, c’est une fête. Offrir un samedi de babysitting gratuit à une mère qui galère toute seule avec ses enfants, c’est une fête. Organiser des rencontres entre familles des quartiers défavorisés et familles plus aisées, et écouter l’histoire de chacun, c’est une fête.

La fête c’est ce qui sort du quotidien. Et si mon quotidien est de la consommation bruyante et lumineuse, chaque fois que je cultiverai une parole sans écran et une activité dont le but n’est pas de consommer, je serai dans la fête. Préparer un bon gueuleton, jouer de la gratte, aller marcher en forêt, lire des nouvelles et des contes à des jeunes qui sentent qu’ils ne font pas partie de notre société, quelle belle teuf !

N’allez pas me dire que je fais le jeu des djihadistes qui disent que nous sommes des décadents capitalistes… s’il vous plaît ! Ils n’ont pas le monopole de la critique de l’hyper-consommation, et de toute façon, ils boivent aux mêmes sources que les pays les plus capitalistes : le pétrole et le trafic d’armes.

Voilà. Je ne sais pas si on se croisera sur les mêmes terrasses ni dans les mêmes fêtes. Mais je voulais juste te dire que tu as le droit de te construire autrement que l’image que les médias te renvoient. Bien sûr qu’il faut continuer à aller en terrasse, mais qu’on ne prenne pas ce geste pour autre chose qu’une résistance symbolique qui n’aura que l’effet de nous rassurer, et sûrement pas d’impressionner les djihadistes (apparemment ils n’ont pas été très impressionnés par la marche du 11 janvier), et encore moins d’arrêter ceux qui sont en train de naître.

Ce qu’on est en train de vivre mérite que chacun se pose un instant à la terrasse de lui-même, et lève la tête pour regarder la société où il vit. Et qu isait… peut-être qu’un peu plus loin, dans un lambeau de ciel blanc accroché aux immeubles, il apercevra la société qu’il espère.

Ce qu'ils nous racontent

 

Des virtuoses, des clowns, des chanteurs, des comédiens, trente-cinq ans de carrière, et pourtant au théâtre des Bouffes Parisiennes, c’est autre chose que l’adieu d’un groupe de musiciens qui se joue jusqu’au 10 janvier.

Le lègue de maîtres

Ce spectacle d’adieu est un lègue pour les générations à venir d’artistes et pour chacun de nous : un modèle de travail de groupe où chacun est indispensable et tous complémentaires, où la personnalité de chacun ressort sans jamais que le groupe soit éclaté. Ils n’étaient pas quatre sur scène, ils étaient cinq : Jean-Claude Camors, Laurent Vercambre, Pierre Ganem, Jean-Yves Lacombe, et le Quatuor. Comme les très grands ils n’ont pas peur du ridicule. Ils se tournent en dérision : Jean-Yves Lacombe meugle un air de vache avant de nous sortir celui de la Reine de la Flûte Enchantée, Jean-Claude Camors, le professeur pédant, tire la langue pendant une bonne minute dans toutes les extensions possibles.

On les dit virtuoses, certes ils le sont, mais ils ne se la jouent pas. Car comme tous les grands artistes ils nous donnent l’impression que ce qu’ils font est simple. Le travail, c’est d’effacer le travail, avec une précision au quart de temps et une chorégraphie si bien intégrée que la spontanéité peut jaillir. Ces artistes n’ont pas de gadgets, pas de décor grandiose. Avec seulement leurs corps, leurs voix et leurs violons, et quelques accessoires aussi simples que des peignes, ils exploitent toutes les possibilités d’un instrument. On le sait, un enfant avec un bout de ficelle et du carton développera bien plus son imagination que s’il avait une panoplie de maison de poupée toute équipée. Un violoncelle c’est gros : il y a bien la place pour en jouer à quatre. On en fait une percussion, un cheval, un rôti. Un violon ça se retourne : on en fait un banjo. Ça se pose sur une chaise et voilà qu’un visage apparaît : on le fait parler comme une marionnette. Un archet devient une canne à pêche ou un sabre.

La musique par le corps

Voici des artistes qui ont saisi toute la physicalité de leur instrument… et de leurs propres corps. Ils dansent, miment, jouent, ils sont entièrement présents dans ce qu’ils font jusqu’aux expressions les plus subtiles de leurs visages. On dira pour aller vite que ce sont des artistes complets. Mais dans un monde où l’on consomme de la musique, des conversations et des amis par écrans interposés, plus que jamais nous avons besoin d’artistes qui nous rappellent la force des corps en présence.

Car c’est aussi ça le miracle qui a lieu au Théâtre des Bouffes : quelques minutes avant le début du spectacle, les écrans des téléphones sont encore allumés, les têtes baissées. Et voilà qu’une heure et demie plus tard, c’est six cent personnes de 7 à 77 ans qui chantent ensemble des airs de Armstrong, Piaf, des Spice Girls, de Michael Jackson ou des Choristes. Le Quatuor nous trace des ponts musicaux entre des traditions classiques, populaires et sacrées, qui s’empruntent des rythmes et des motifs. Car la musique est le plus bel exemple d’emprunts et d’échanges entre les peuples qui dans leur contexte bien spécifique, cherchent toujours à exprimer les mêmes sentiments.

Qui demain aura trente ans de carrière ?

Ce spectacle décloisonne les catégories car il éveille la nostalgie des uns, la curiosité des autres, nous fait rire aux éclats, nous fait apprécier des arts dont on pense qu’ils n’intéressent pas les jeunes. Il nous rappelle aussi que ces maudits Américains dont on se méfie beaucoup aujourd’hui, ont inventé des styles comme le country, le blues, le swing, qui portent aussi les doutes et les espoirs universels et que l’anglais et le français réunis dans un spectacle ne sont pas des langues concurrentes. Ils mettent en valeur tous ces styles de musique, montrent la musique pop dénuée de ses paillettes et décomplexent la musique classique.

Combien de spectacles comme celui-ci seront encore possible pour la génération à venir d’artistes ? Pourront-il accorder toutes les heures de travail acharné qu’il faut à leur projet ? Comment faire tenir un groupe des années sur scène, pour qu’il atteigne ce niveau de maturité et d’exception ? Le principal matériau de création de tous les artistes, c’est le temps. Une denrée devenue rare, qui se marchande et se mesure à la productivité horaire.

Le Quatuor nous jette son bouquet final comme celui d’une jeune mariée. À nous de le rattraper et d’en jouer sur les cordes de nos vies.