Analyses

Pris entre l’image du bon sauvage et celle de parasite de la société, les autochtones de l’Amérique du Nord doivent se réinventer. Guérir leurs blessures, trouver des voies vers l’autonomie, se trouver une identité contemporaine. Ce travail se fait au jour le jour avec des allochtones qui ont fait le choix de vivre en permanence sur les réserves. Portraits croisés de ces ouvriers de la réconciliation, à Wemotaci, réserve Atikamewk du Québec. 

Il y a des pays qui n’ont besoin ni de barbelés ni de murs pour maintenir une population à l’écart. Ce pays est grand comme quatorze fois la France et ses territoires d’outre-mer, et deux fois moins peuplé. Il y aurait assez de place pour tout le monde, semble-t-il. Pourtant, au Canada, une population vit à part, sur des territoires morcelés, les réserves. Ce sont ses premiers habitants, les autochtones. Parmi eux, les Amérindiens regroupant cinquante Nations, les Inuits et les Métis.

Moins de la moitié des 1.4 millions de personnes se déclarant autochtones vit sur des réserves, la majorité ayant fait le choix de vivre en ville[i]. Aujourd’hui, les autochtones doivent s’inventer une nouvelle manière d’exister dans la société moderne sans renier leur culture.

« Les autochtones doivent rester dans un statut de tutelle et être traités comme des pupilles ou enfants de l’État ». Cette phrase est issue du rapport du Ministère de l’Intérieur de 1876 après la création de la Loi sur les Indiens[ii], encore en vigueur aujourd’hui. Malgré ses nombreux amendements[iii], cette loi continue à faire des autochtones des citoyens de seconde zone, qui ne peuvent pas avoir recours à l’emprunt bancaire et dont les droits à commercer en dehors de la réserve sont limités. Ils sont exempts de payer des impôts et bénéficient d’aides gouvernementales.

Par voie de traités, certaines communautés ont obtenu plus d’autonomie, tout en restant sous contrôle fédéral et dépendant toujours du Ministère des Affaires Autochtones et du Développement du Nord du Canada. L’État conserve ainsi un droit de véto sur les décisions prises par les conseils de bande ou les conseils de communauté.

Wemotaci : la guérison au jour le jour

Depuis une heure, ça n’en finit pas. Derrière la vitre de la voiture, des arbres, toujours des arbres. D’un coup, les mots « immensité » , « à perte de vue » deviennent réels, s’inscrivent dans le corps. On roule depuis six heures, avec devant les yeux, la même image d’immenses résineux, pins, épinettes, sapins, thuyas. C’est ça, le Canada, avec sa forêt boréale qui fait régulièrement la une de magazines de voyages. Cent quinze kilomètres de piste depuis la ville de la Tuque. C’est le début de l’été indien. La poussière colle aux vitres de la voiture. On doit garder les vitres fermées.

Tiens, un autre… il faut bloquer l’entrée d’air. Le camion nous dépasse. Les immenses troncs d’arbres apparaissent, à l’horizontale cette fois. Le camion disparait dans un nuage de poussière. Un autre camion sort d’un chemin forestier, une artère qui laisse entrevoir que le défilé d’arbres le long de la route n’est qu’un rideau. Derrière, c’est la coupe à blanc. Le Canada détient le triste record du pays où l’on coupe le plus d’arbres, devant la Russie et le Brésil. Il est responsable de la perte de 20% de la forêt à l’échelle planétaire.

Au bout du pont, enfin, la réserve amérindienne de Wemotaci, où va avoir lieu pendant deux jours le Pow Wow annuel, une fête qui permet aux autochtones de s’enraciner à nouveau dans leur culture et leur territoire, eux coupés à blanc depuis quatre siècles. Ici aussi, une triste réalité se cache derrière le rideau des maisons alignées le long de la route. Une réalité partagée par toutes les communautés autochtones du Canada : alcoolisme, violence familiale, toxicomanie, prostitution infantile, inceste. Les habitations sont le plus souvent surpeuplées, un couple vivant avec ses enfants, ses parents, ses frères et sœurs.

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Jacques Newashish peignant une toile sur le site de l’ancien village de Wemotaci

Wemotaci est l’une des trois réserves de la Nation Atikamekw, l’une des onze Nations amérindiennes du Québec. Cette réserve de trente-deux kilomètres carrés se situe à quatre cents kilomètres au nord de Montréal, au Québec. Enfin pas tout à fait… Les réserves amérindiennes sont territoire fédéral. Nous sommes donc officiellement au Canada, mais dans aucune province en particulier.

Ici pas de passage piéton, tout le monde circule en voiture. Le panneau de circulation ARRÊT est doublé du mot atikamekw NAKAPARI. C’est la fin de l’après-midi. Des groupes de jeunes reviennent de l’école, iphone dans la main. Les garçons sont habillés en tenue de sport, les filles portent des vêtements serrés. D’autres groupes sortent de la seule épicerie du village en faisant claquer le sac de chips et pchitter la canette de soda. Dans un coin, des silhouettes d’hommes courbés assis dans la poussière, une canette de bière à la main. Pas de femmes, pas de promenade familiale. Il y a quelque chose de différent, comme un ciel un peu plus bas qu’ailleurs.

La voiture me laisse. Je dois me rendre sur le site de l’ancienne réserve, où se tiendra le Pow Wow annuel. Une voiture me prend en stop. C’est un couple atikamekw. Je m’assois près de leur enfant de huit ans qui tend à sa mère sa canette vide de Pepsi et en ouvre une autre. Je leur demande où ils vivent. Ils me racontent sans complexe être allés vivre en ville pour se soigner de l’alcool et de la toxicomanie. La femme a fait trois fausses couches. Aujourd’hui l’homme est à la recherche d’un emploi, car, dit-il : « J’ai pas fait tout ça pour dépendre de l’État. Je veux travailler ». Tout ceci a été déballé en moins de dix minutes. Je suis étonnée de la facilité avec laquelle ils abordent ces sujets sensibles.

La réponse, je la trouverai au bout de mon séjour. C’est qu’au village, la guérison a commencé, et que les gens sont fiers de dire qu’ils sont en processus de guérison. La maison des jeunes en est l’un des principaux organes. Mise sur pied il y a dix ans, elle est gérée depuis un an par Clode Jalette. Une blanche aux yeux pétillants, avec un voile dans la gorge, qui en impose par son charisme et son énergie. Clode bouscule, tout en respectant. « Ici le temps est différent. Par exemple, les Atikamekws n’ont pas l’habitude de répondre tout de suite à une question. Le rythme de leur langue est plus lent, ils respectent beaucoup les mots. Certains croient qu’ils ne comprennent pas ce qu’on leur dit. Pas du tout. Ils vivent juste dans leur temps, et il faut le respecter. Parfois c’est difficile, pour planifier les activités de la maison des jeunes par exemple. Il faut toujours trouver le bon équilibre. C’est vraiment un échange interculturel. »

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Clode Jalette, coordinatrice de la Maison des Jeunes de Wemotaci

Comme les enseignants et les intervenants sociaux, Clode négocie en permanence l’équilibre entre la nécessité d’un changement et celle de garder un lien avec les traditions culturelles. Derrière la maison des jeunes, elle a créé un jardin communautaire pour initier les adolescents à manger des légumes. Car dans l’unique épicerie du village, le rayon légumes est minuscule et les légumes sont vendus très chers, contrairement aux sacs de chips, friandises, pizzas congelées et autres délices nord-américains. Le taux d’obésité et de maladies cardio-vasculaires parmi les autochtones est particulièrement élevé, touchant un tiers de la population vivant dans les réserves[iv].

Cette année, grâce à Clode, trois artistes autochtones de renommée mondiale viendront aider les jeunes à réaliser une fresque murale et des totems représentant leur attachement aux symboles traditionnels de leur culture. « Peu importe ce qu’on fait, ce qui est essentiel, c’est de travailler en jumelage. Tu ne peux pas débarquer ici, faire le Blanc qui va sauver les autochtones, et repartir. Il faut travailler avec eux ». Clode a formé une jeune Atikamewk du village qui travaille à la maison des jeunes et qui reprendra le flambeau bientôt. Aujourd’hui, une vingtaine de jeunes filles originaires de la réserve sont formées en éducation à l’enfance. Elles sont employées sur la réserve et dans des villes.

Wemotaci est aussi pionnier dans la création du Service d’Intervention d’Autorité Atikamekw, une instance qui se penche sur les situations où la sécurité de l’enfant est compromise. C’est ici que Clode a fait ses débuts à la réserve. Le SIAA travaille en collaboration avec le Conseil de Famille et le Conseil des Sages. C’est à ce niveau local que 90% des situations sont réglées.

En revenant du site de l’ancienne réserve, je cherche Hélène Collin, réalisatrice belge, qui fréquente la réserve depuis un an. Je la retrouve dans la cuisine de l’école, en train de montrer à un jeune ce qu’est le kale, un chou frisé, avec lequel elle va faire des chips. Hélène a bien compris que c’est par les petits gestes que se fera le changement. Elle a lancé un projet de jumelage avec la ville de Namur, en Belgique.

À l’école, les enseignants aussi notent un changement : « Dans ma classe, les jeunes veulent être médecins, ingénieurs, chercheurs. Ils ont de grandes ambitions », confie Najat, professeur de mathématiques d’origine tunisienne. « Un tiers des enfants fréquente l’école, ce qui est un bon taux pour une réserve. »

Si l’autogestion des autochtones progresse, elle entre aussi en contradiction avec la Loi sur les Indiens qui repose sur l’infantilisation des autochtones. Clode connaît les limites que cette loi impose : « On travaille à tous les niveaux, mais il manque encore un maillon. Le conseil de bande, celui qui a les sous. ». Le conseil de bande, élu par les communautés, est formé de fonctionnaires qui appliquent les directives du ministère. À terme, le Canada aura à gérer la contradiction entre la réalité du terrain et le maintien de lois et de statuts hérités du XIXe siècle qui assujettissent les autochtones.

 

Entre mémoire et renouveau : le combat d’un peuple

Les autochtones sont à un moment charnière de leur histoire. La sédentarisation des Atikamekws a été très tardive. À Wemotaci, c’est en 1972 que les habitants ont définitivement quitté leur mode de vie semi-nomade, pour venir vivre au village. Alors que dans d’autres nations autochtones, la mémoire de ce mode de vie a disparu, chez les Atikamekws, deux générations la partagent encore. Jacques Newashish, artiste natif de la réserve, se souvient : « J’ai grandi dans un tipi, on campait ici, tout autour. On vivait de la chasse et de la cueillette. Je ne me souviens pas avoir eu froid, avoir été dans la misère. On vivait tous ensemble, avec les grands-parents et la famille élargie. Notre aire de jeu, c’était la forêt. On s’entraidait aussi. Si quelqu’un manquait de nourriture ou de peaux, on allait lui en donner. » Jacques est l’une des figures marquantes de sa communauté. Arraché à sa famille pour être envoyé dans un pensionnat à l’âge de six ans, c’est dans la peinture qu’il cherche la paix. Il négocie le difficile passage entre deux modes de vie, peignant des œuvres contemporaines à l’acrylique qui transmettent des éléments fondateurs de sa culture.

La génération de Jacques a subi de plein fouet les derniers assauts de la politique d’assimilation du Canada : sédentarisation massive, discrimination faisant perdre aux femmes ayant épousé un Blanc leur statut d’autochtone, non reconnaissance des Métis, conversion au catholicisme. Les enfants envoyés dans les pensionnats ont subi, en plus de l’interdiction de parler leur langue, des sévices sexuels et des violences. Aujourd’hui, beaucoup de ceux qui ont connu les pensionnats retournent contre eux-mêmes et contre leurs enfants une violence qui n’est pas encore apaisée.

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Pensionnats catholiques, archives de la Nation Atikamekw

En juin dernier, après six ans de recherche et de récolte de témoignages, la Commission Vérité et Réconciliation du Canada a remis son rapport final, qualifiant de génocide culturel les sévices subis par les autochtones de 1890 à 1996 dans les pensionnats catholiques[v].

La dernière génération doit se construire entre l’héritage douloureux du génocide culturel vécu par leurs ainés, la nécessité de préserver la mémoire et les savoirs ancestraux, et celle de s’inventer une manière de vivre dans le monde des nouvelles technologies et des réseaux sociaux.

Le premier soir du Pow Wow, sur le site de l’ancienne réserve, je rencontre Makouli, un garçon de treize ans qui vit à Obedjiwan, une autre réserve Atikamekw. Makouli regarde souvent le ciel. Il cherche une étoile filante. Je lui demande ce qu’il ferait comme vœu s’il en voyait une : « Je demanderai à revoir mon grand-père ». Son grand-père est présent dans tout ce que Makouli raconte. Plus tard il veut devenir chirurgien, pour pouvoir remplacer les organes malades, car son grand-père est mort d’un cancer des poumons. Makouli raconte la fierté que ressentait son grand-père à son égard: « J’ai tué mon premier orignal quand j’avais dix ans. J’étais parti avec mon père, j’avais tellement peur, je tremblais en tenant le fusil. Puis j’ai tiré. Mon père m’a dit que c’était à moi de le dépecer car c’était mon orignal. Je n’avais jamais fait ça, ça sentait fort, je croyais que j’allais m’évanouir. On est rentrés à trois heures du matin. Mon grand-père m’a dit qu’il n’avait jamais vu un enfant de dix ans tuer un orignal. Avant de mourir il m’a dit qu’un jour, je serai gardien du territoire. Je sais que je devrai aller en ville pour devenir médecin, mais je reviendrai pour défendre mon territoire. Je ne le laisserai jamais aux compagnies forestières. »

Autochtones / Allochtones : au-delà des catégories

Dans le combat quotidien que mènent intervenants sociaux, artistes, professeurs, policiers, pas le temps pour l’idéologie. Si certains sont venus avec quelques clichés en tête, une fois sur place et dans l’urgence du quotidien, le mythe s’efface pour laisser place à une réalité où les catégories explosent. Chacun est dans l’urgence de la survie et d’un équilibre à rétablir.

Au Pow Wow, les touristes assistent aux danses impressionnantes des hommes des onze nations. Chacun porte la coiffe propre à son peuple. Ils imitent la danse de l’oiseau, les pieds frappent le sol et remuent la poussière, les corps dessinent des courbes au rythme des tambours. La danse devient frénétique. Ce sont les jeunes qui chantent. Après cette démonstration, le chef de cérémonie annonce au micro : « Allez-y, venez danser, c’est le moment ! » Le Pow Wow alterne entre danses sacrées et danses ouvertes à tous. Un Blanc s’avance, portant un bandana noir. Il prend les mouvements des autochtones, et entre rapidement dans une danse frénétique.

Cet homme, c’est Mathieu Montminy, intervenant psychosocial. Ce fils de cultivateur québécois a l’air chez lui sur cette réserve où il n’était pourtant jamais venu. Mathieu a vécu dans les neuf régions du Québec, parmi les autochtones et les Québécois. Il a travaillé avec les Inuits pour les aider à établir les bases de leur autogestion. Les Inuits sont un peuple autochtone issu d’une autre migration que celle des Amérindiens. Ils ont leur propre région autogérée, le Nunavik. Dans son travail, Mathieu se bat pour déconstruire les clichés de part et d’autre. « Quand on me demande De quoi ils ont besoin les autochtones ? Je réponds toujours : Allez leur demander, ils le savent mieux que personne ! Souvent les autochtones m’ont demandé pourquoi ils ont un problème avec l’alcool. Ils ont intégré les idées reçues comme quoi les amérindiens auraient naturellement un penchant pour l’alcool. Je leur explique que si on prenait une population de Blancs, qu’on leur enlève leur territoire, leur mode de vie, leur langue, leur religion, et qu’ils ont accès à de l’alcool ou à des drogues, on les retrouverait dans le même état.[vi] »

Mathieu veut défaire l’opposition entre allochtones et autochtones : « Je dis souvent aux autochtones : allez voir dans les petits villages québécois qui sont en train de disparaitre, vous verrez des gens qui comme vous se battent pour la préservation de leur territoire et de leur mode de vie ».

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Patrick et ses collègues dans un canoe qu’ils ont construit eux-mêmes. desforetsetdesgens.com

Derrière la piste de danse, un attroupement d’enfants s’est fait sur l’herbe. Assis en tailleur, un jeune homme fabrique des cerfs en tiges de cornouiller. Les enfants se servent. À chaque fois qu’il se rend sur une réserve, Patrick Gravel ne peut pas s’empêcher d’offrir quelque chose. Avec les bénévoles de la coopérative Des forêts et des gens[vii], Patrick recrée des jardins botaniques de la flore indigène et organise des séjours de survie en forêt. Allochtones et autochtones partagent des connaissances pour vivre harmonieusement avec la nature et préserver la biodiversité. Patrick n’approche pas les autochtones pour les aider, mais pour apprendre d’eux, et pour gérer ensemble un territoire qu’il considère comme commun.

« Les gens des Premières Nations ont des cultures très riches et méconnues. Nous avons beaucoup à apprendre d’eux. Les savoir-faire ancestraux que les ainés partagent nous aident à développer des relations avec de nombreuses espèces dans l’écosystème. Les agents forestiers ne connaissent pas la richesse de la faune et de la flore des forêts. Ils n’ont pas le temps pour ça.  »

La curiosité et le regard de Patrick sont des moteurs puissants de changement : cet été, il est parti pendant trois semaines vivre au cœur de la Montagne Noire, sur le territoire des Algonquins de la réserve de Kichisakik, en Abitibi. Seulement ce n’est pas auprès de la société qui gère les établissement en plein air, la SEPAQ, que Patrick est allé chercher les autorisations. C’est auprès des populations autochtones qui revendiquent ce territoire. Il s’est rendu auprès des chefs de communautés avec du castor et du tabac en offrande. Devant eux, il a reconnu le génocide, les horreurs des pensionnats, et leur a demandé l’autorisation d’aller camper pendant trois semaines sur leur territoire.

« Si on reconnaît que les autochtones n’ont jamais légué leur territoire, il est normal, lorsqu’on leur parle d’utiliser ou même de protéger ce territoire, d’entamer un dialogue et de prendre des décisions avec eux. Je crois que la reconnaissance doit se faire du bas vers le haut. Reconnaitre l’histoire, c’est le premier pas vers la guérison. C’est de la responsabilité de chacun, et c’est cela qui fera tomber les préjugés, de part et d’autre. Au début les Algonquins n’y croyaient pas, ils me prenaient pour un agent du gouvernement. J’étais très frustré, j’en ai pleuré. Ils m’ont dit qu’ils allaient réfléchir. Quelques jours plus tard, ils m’ont convoqués et ils ont acceptés. La confiance, ça prend du temps. »

Lors de ce séjour, un jeune algonquin d’une maison d’accueil les a rejoint. Patrick raconte : « Ce jeune Algonquin est parti avec nous. Au début, il me disait qu’il avait honte d’être autochtone. Au bout de cinq jours, en redécouvrant le territoire et le savoir de ses ainés, il m’a dit qu’il était fier ». Aujourd’hui, les Algonquins demandent à Patrick d’être l’intermédiaire dans leur conflit avec les compagnies forestières.

L’indien, toujours source de fantasmes

Sur leur cheveux, pas de plume. Pas de tunique en cuir. Pas de peinture faciale. Ils portent des jeans, des t-shirts et des casquettes de sport. Ils mangent principalement des burgers, des patates et chips. Ils roulent en voiture et ont tous des iphones. Certains hommes travaillent pour les compagnies forestières. On est loin de l’image d’Épinal encore véhiculée en Europe de l’indien proche de la nature. Loin aussi de l’image dégradante largement répandue au Canada comme aux USA : les autochtones sont des assistés sociaux alcooliques et délinquants. Pris entre l’image folklorisée du bon sauvage et celle du parasite de la société, les autochtones n’ont pas fini d’être sources de fantasmes et de peurs.

Les chanteurs du groupe Northern Legends. www.northernlegends.org

Deux jours avant le Pow Wow, un groupe d’écologistes débarque à Wemotaci. Ils ont prévu de faire un grand évènement rassemblant autochtones et écologistes pour créer un front commun de protection de la biodiversité. Le groupe se réunit dans la grande salle du centre communautaire. Clode encourage les jeunes à assister à la première réunion. Les chaises sont disposées en cercle, comme le veut la coutume amérindienne. En guise de cérémonie d’ouverture, des jeunes de la communauté, qui ont créé leur propre groupe, Northern Voice, entonnent un chant traditionnel autour d’un gros tambour. Les cris stridents qui sont faits pour résonner dans les collines rebondissent dans tous les coins de la salle, plusieurs se bouchent les oreilles. Sitôt la musique terminée, tous les jeunes partent. Il ne reste dans la salle que le groupe d’écologistes, et un autochtone de la communauté, Charles Coocoo, le philosophe de Wemotaci.

Charles prend la parole. Il la gardera pendant près d’une heure. Il raconte un mythe amérindien, et la pratique ancestrale d’enterrer le placenta de la femme accouchée. « C’est l’écologie profonde, qui est enracinée dans notre tradition ». Malgré la fatigue de la longue route, les écologistes écoutent avec dévotion. La Terre Mère est célébrée par la voix du Sage Indien.

Au village, certains habitants ont vu des affiches, mais n’ont pas compris de quoi il s’agissait. On s’interroge : un front commun annoncé sans les avoir consultés ? Les organisateurs ne semblent pas avoir averti la radio locale ni ceux qui travaillent au quotidien sur le terrain avec les autochtones. Au programme du groupe : tente de sudation, pow wow, réunions et prières en cercle.

De retour à Montréal, un texte exprimant l’esprit de la rencontre est publié sur la page du groupe :

http://amerindien.e-monsite.com/pages/sagesse-amerindienne.html
http://amerindien.e-monsite.com/pages/sagesse-amerindienne.html

« Les gens que j’ai rencontré à Wemotaci ne parlent pas le même langage que nous, que vous… Ils parlent le langage de la compassion, de l’entraide, de la non-performance, de la sensibilité, de l’amour et de l’harmonie avec la Terre-mère. Ils parlent un langage sincère, authentique, émotif. Ils parlent le langage de la communauté et non de l’individualisme, ils savent que travailler seul rend faible et qu’il faut travailler ensemble. Ils portent de belles plumes, mais ils ne portent pas de masques, eux. Mais surtout, ils parlent un langage d’équité, un langage non-hiérarchique, il n’y a pas de chef ! Ils appliquent une démocratie directe dans leurs décisions. »

Le mythe du bon sauvage hérité de Rousseau, Montaigne, Jacques Cartier ou encore Benjamin Franklin est réactivé. La diversité des cultures autochtones est effacée, au profit d’un seul type, construit en opposition à l’homme occidental, et comme sa figure idéalisée : égalitaire, démocratique, harmonieux, collectiviste, proche de la nature. Marie-Pierre Bousquet, spécialiste des Amérindiens Algonquins du Canada, a passé des années sur des réserves du Québec. Elle a été témoin des stéréotypes que beaucoup d’allochtones véhiculent : « Ils pensent en cercle, ils ont une pensée holistique, ils ont l’esprit communautaire, ils ne sont pas individualistes, ils ont une conception cyclique du temps, ils sont proches de la nature, ils ont une intense vie spirituelle, ils sont sages… Chacun de ces stéréotypes réduit à une dimension très simplifiée, donc simpliste, des cultures et des façons de voir le monde complexes[viii] » Pour l’anthropologue, c’est un phénomène qui dépasse les Amérindiens : « toujours, l’Autre sera en harmonie avec la nature ou intensément spirituel. De fait, les Amérindiens sont des sociétés à idéologie égalitaires, mais il y a toujours des hiérarchies sociales, de prestige, de pouvoir ».

Les stéréotypes sur les autochtones ont encore de beaux jours devant eux. La représentation des amérindiens du XIXe siècle domine encore dans les médias, les dessins animés et sur internet. Par l’image, on les exclut à nouveau de la société contemporaine. Alors, ils commencent à créer leurs propres sites internet, où ils se montrent avec des casquettes et des jeans, créant des designs modernes sur leurs t-shirts, animant des émissions de radio, faisant des self-vidéos.[ix]

Mais ce qui maintient surtout ces stéréotypes en vie, c’est désenchantement de nombreux Occidentaux envers leur propre culture. Alors nait le besoin de trouver un Autre idéal, qui nous sauvera. Au Canada, le néolibéralisme est particulièrement brutal. Le pillage des ressources – bois, hydrocarbures, eau – est proportionnel à l’immensité des paysages qui font encore chaque année la une des revues de voyage françaises. Au Québec, la génération du mouvement érable de 2012, du mouvement Occupy et de Idle No More[x], cherche une alternative. Parmi eux, certains trouvent dans la culture amérindienne une réponse spirituelle. La parole, les symboles et le folklore de l’amérindien est pris en dehors de tout contexte historique. Comme si l’homme rouge, lui non plus,  « n’était pas encore entré dans l’Histoire ». Se considérant comme descendants des colons, ces militants viennent aussi chercher un pardon pour ce que l’Homme Blanc a fait.

Vincent Dostaler, l’un des organisateurs du forum, défend son lien aux traditionalistes : « Je ne travaille qu’avec les traditionalistes. Jamais avec ceux qui travaillent pour les compagnies forestières. Les esprits mettent des embuches pour trier les faibles. »

Le dernier jour de réunion, Vincent fait une annonce : « Certains ont pu se demander pourquoi il n’y avait pas autant d’autochtones qu’on aurait pu le croire à nos réunions. J’aimerais vous dire que parmi nous, il y a une dizaine de personnes qui viennent d’Haïti, de Panama, de Tunisie, donc il y a bien des autochtones parmi nous ».

Finalement, ce qui est autochtone est simplement ce qui n’est pas l’homme Blanc.

À quelques mètres du centre communautaire, pendant que le groupe boit de la sagesse indienne, Clode, Jacques, Najat, Hélène, Mathieu et Patrick travaillent, au jour le jour, négocient, apprivoisent, font des erreurs, remuent la vase de la réalité, débroussaillent le terrain où les autochtones devront se réinventer un chemin nouveau, enraciné et contemporain.

[i] Ministère des Affaires Autochtones et du Développement du Nord, 2011 : http://www.aadnc-aandc.gc.ca/fra/1100100013791/1100100013795

[ii] Loi sur les indiens (1876, 1985) : http://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/i-5/

[iii] ‘’The Indian Act : historical overview’’, Jay Makarenko, 2008 : http://mapleleafweb.com/features/the-indian-act-historical-overview#aboriginal

[iv] « Prévalence de l’obésité au sein des populations autochtones », Agence de Santé Publique du Canada, 2006. http://www.phac-aspc.gc.ca/hp-ps/hl-mvs/oic-oac/abo-aut-fra.php

‘’Cancer chez les autochtones du Québec vivant dans les réserves et les villages nordiques, de 1984 à 2004,’’ rapport de l’INSPQ, Institut National de Santé Publique du Québec, p.35 https://www.inspq.qc.ca/pdf/publications/736_CancerAutochtones.pdf

‘’Nutrition et consommation alimentaire chez les Inuits du Nunavik’’, enquête de l’INSPQ, 2004 : https://www.inspq.qc.ca/pdf/publications/resumes_nunavik/francais/esi_nutrition.pdf

[v] Conclusion Commission Vérité et Réconciliation, Les principes de la vérité et de la réconciliation, juin 2015, p.11 http://www.trc.ca/websites/trcinstitution/File/2015/Findings/Principes%20de%20la%20verite%20et%20de%20la%20reconciliation.pdf

[vi] « La transformation des contextes traditionnels d’usage, d’une part, et la transformation violente de la société, d’autre part, sont des facteurs qui ont indéniablement joué un rôle dans la relation que les Amérindiens de l’époque post-colombienne ont développée avec l’alcool. », Marc Perreault, ‘’Alcool et Amérindiens : au-delà des stéréotypes, Drogues, santé et société, 4, 1, 2005, p.5-13

[vii] desforetsetdesgens.com

[viii] Marie-Pierre Bousquet, « De la pensée holistique à L’Indian Time : dix stéréotypes à éviter sur les Amérindiens », Nouvelles pratiques sociales, 24, 2, dir. Denyse Côté, Isabelle Côté et Sylvie Lévesque, printemps 2012, p.204-226 http://www.erudit.org/revue/nps/2012/v24/n2/1016356ar.html?vue=resume

[ix] Leavitt, Peter A. (2015) « ‘Frozen in Time’: The Impact of Native American Media Representations on Identity and Self-Understanding”, Journal of Social Issues, vol.71, no.1, pp.39-53.

http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/josi.12095/epdf

[x] mouvement de protestation autochtone né en décembre 2012 suite à la loi omnibus C-45 du gouvernement Harper, qui violait plusieurs traités ancestraux des droits fondamentaux des autochtones

Ce qu'ils nous racontent

À quelques jours d’intervalle, je suis allée voir deux spectacles. Situés à deux pôles opposés, semble-t-il : Bibish de Kinshasa mis en scène par Philippe Ducros, et Le vagabond céleste du conteur Simon Gauthier. D’un côté une pièce adaptée d’un roman de Marie-Louise Bibish Mumbu, journaliste congolaise vivant à Montréal, racontant les guerres et les résistances de sa ville, Kinshasa. De l’autre côté, un homme qui troque sa maison contre une paire de bottes, et qui s’en va arpenter le monde, à la recherche de la poésie du quotidien.

À la lecture des toujours-réducteurs descriptions de spectacle, on pourrait vite catégoriser ces deux créations : une pièce de théâtre réaliste et sérieuse, un conte « à partir de 12 ans » plein de poésie pour s’évader.

Pourtant en sortant de ces deux spectacles, la même boule au plexus qui serre, et le même sourire intérieur qui se déploie. Avec Philippe Ducros, on vient de se prendre une bonne claque de réel dans la gueule, mais du réel mis en scène et mis à distance. Avec Simon Gauthier, une bonne lampée de poésie et de rêve, mais de ces rêves qui nous réconcilient un peu plus avec le réel.

Car Philippe Ducros et Simon Gauthier jouent tous les deux des frontières entre le réel et l’imaginaire. Écrivain des blessures coloniales, Philippe Ducros arpente les réserves amérindiennes, le Congo mais aussi la Palestine, pour rendre compte de ce qui ne se dit pas, de ce qui se cache sous l’écran médiatique : des réalités inacceptables, un colonialisme auquel participe pleinement le Canada. Lors de la première de La cartomancie du territoire, beaucoup de gens ont dit : « On sait tout ça, mais dit comme ça, ça nous fait autre chose ». Car l’écriture à la fois précise et puissante de Philippe Ducros permet de mettre des mots sur ce qui ne se dit pas. Des phrases tissées avec ceux qui acceptent de lui raconter.

entretien avec Philippe Ducros à écouter ici

Simon Gauthier aussi arpente le monde en écoutant les récits des autres. Et lui aussi récolte et transforme par le langage les histoires du quotidien. Son vagabond céleste, dont tout le monde s’attend à ce qu’il soit un personnage éthéré imaginaire, sorte de Petit Prince, est bien réel. Simon nous fait passer du conte au récit de vie, et puis à l’histoire rapportée. Alors on comprend que la poésie est quotidienne, et que l’émerveillement est à une porte de chez nous. Et on finit par le voir, ce vagabond céleste, celui du réel, en chair et en os.

Dans la pièce Bibish de Kinshasa, Philippe Ducros nous fait faire un va-et-vient constant entre la fiction au réel. Le personnage de la narratrice-journaliste-double de l’auteur nous raconte la déformation du monde que cause la guerre, et comment les gens s’adaptent, résistent, et continuent à vivre. « À cultiver la beauté du monde », comme dirait Simon Gauthier. Car derrière l’horreur, il y a l’impétueux désir de vivre et le courage qui s’habille d’humour. Entre les scènes interprétées avec toute l’énergie de Gisèle Kayembe, le metteur en scène et l’auteure, Bibish elle-même, commentent les scènes en nous préparant un repas. Ils nous ramènent ici, au Canada, et à son implication dans ce conflit. Nous les regardons regarder la comédienne qui nous regarde. « Cela nous concerne », voilà ce que semble vouloir dire Philippe Ducros à chacun de ses spectacles. Et voilà qu’une petite lumière rouge interrompt l’échange entre le metteur en scène et l’auteure, car Bibish doit aller en loge pour alléter. Le quatrième mur est tombé, et le public partage le repas préparé sur scène à la fin de la soirée.

Bibish à Kinshasa est une célébration. Celle de la résistance et du désir de vivre des Congolais. Le vagabond céleste célèbre le désir d’être maître de sa vie et de son imaginaire. Comme les personnages de Bibish, le vagabond céleste cherche à préserver sa liberté. Il parcourt la terre à la recherche d’autres rêveurs, et de ceux qui ont besoin qu’il rallume leur lampe avec son feu.

Simon Gauthier rhabille la réalité d’enchantement. Philippe Ducros dévoile la réalité qu’on nous présente. Ces deux artisans des mots nous aident à mieux comprendre notre monde, à oser nous regarder nous-mêmes, et à avoir le courage de nos choix. Choix personnel avec Simon Gauthier, choix politiques et sociaux avec Philippe Ducros.

Entre ces deux types de spectacle, il n’y a pas à choisir. Nous avons autant besoin de l’enchantement que du dévoilement. Ce sont deux lucarnes par où regarder le réel. À l’heure où s’amuser et se divertir est devenu un mot d’ordre, où il faut être « le fun » et s’éclater, il est est sain de se rappeler qu’on a besoin de toutes les sortes de spectacles. Qu’il est des heures pour rêver et d’autres pour prendre acte.

Alors sortons des clichés « pièce de théâtre sérieuse » ou « conte pour enfants léger ». Un conte peut nous bouleverser jusqu’aux tréfond de soi. On peut passer un moment délicieux à regarder une pièce de théâtre qui parle de l’horreur de la guerre avec distance, légèreté et justesse. Souhaitons que cette différence soit toujours présente dans nos programmations culturelles.

simon gauthier

entretien avec Simon Gauthier à écouter ici

Le premier roman de Sarah Roubato sort mercredi 5 septembre aux éditions Publie.net Pour en savoir plus cliquez sur la vidéo ci-dessous. Pour le commander en librairie cliquez ici  Pour le commander chez l’éditeur cliquez ici

 

 

 

 

 

 

 

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Lettres sans réponse

 

Quelques temps après le quatrième morceau

Allo Pierrot

« Est-ce que l’univers va s’occuper de moi comme je m’apprête à m’occuper des autres ? » Quand le vagabond céleste jette cette question à l’assaut du ciel, j’ai ouvert grand les yeux et je me suis avancée comme pour bien entendre la réponse qu’allait lui faire l’univers. Mais rien. Il n’y eut pas de réponse.

Vois-tu, Pierrot, moi aussi je l’ai poussé, ce cri où on met l’univers au défi. Et dans cette question, c’est toute la question de la justice. Le monde est-il juste et équilibré ? Je sais que depuis que tu as chaussé tes bottes, tu as trouvé que oui, l’univers s’occupe de nous quand on lâche tout et qu’on poursuit seulement son rêve. Que vous recevez quand vous donnez. Parce que vous réveillez chez les gens l’envie de donner et de partager. Quelqu’un finit toujours par s’arrêter pour vous prendre dans son char.
Et pourtant, Pierrot, on ne va pas dire au gamin des banlieues de Kiev irradié par Tchernobyl ou celui des campagnes d’Argentine empoisonné par Monsanto, que ce qu’ils vivent est le juste retour de l’univers à ce qu’ils ont fait, n’est-ce pas ? On ne va pas dire aux ouvriers, paysans et artisans qui aiment leur travail et ont trimé toute leur vie, et qui ont tout perdu parce que des businessmen se sont amusés avec la valeur de tout, que ça leur est arrivé parce qu’ils ont triché avec leurs rêves ? Et les businessmen repus et enflés de pouvoir et heureux à leur manière, va-t-on leur dire qu’ils ont la vie qu’ils méritent ?
J’ai beaucoup voyagé et j’ai côtoyé des milieux très différents. Et partout je n’ai vu que le règne du chaos. J’ai vu des gens méritants talentueux et travailleurs trouver leur rêve, et d’autres tout aussi talentueux, travaillants, généreux, finir misérables et seuls. Je vois chaque jour la bêtise, la facilité et le conformisme être récompensé. Entendons-nous bien, Pierrot. Je ne parle pas de succès et de gloire décadente à la Whitney Houston. Je parle bien d’épanouissement personnel, de paix intérieure et de rêve accompli.

Les gens peuvent être aussi méprisants et indifférents qu’ils savent être attentifs et généreux. Et je maintiens que l’univers ne s’occupe pas toujours de ceux qui s’occupent des autres. Ne pensez-vous pas que le monde aurait une autre tête, si c’était le cas ?

Je crois que chacun pétrit moule et taille son rêve, mais qu’aucun rêve ne peut marcher tout seul. Il lui faut un sol avec du sable ou des graviers, de la terre ou du bois, il lui faut aussi un air, un soleil, un horizon. Je crois que sans sa femme, Nelson Mandela aurait été oublié au fond de sa prison. Je crois que sans Jacques Canetti, les Brel, les Barbara, les Brassens, les Piaf, seraient restés – comme d’autres – des amuseurs de cabaret. Parce qu’il a cru en eux au moment où personne n’y croyait.

Je crois que la meilleure des graines peut ne pas pousser si le sol, la lumière et l’eau ne sont pas cléments. Je crois qu’il existe beaucoup de puissances endormies en nous, qui resteront toujours inactivées. Je crois que des vies pleines de ces puissances sont arrêtées chaque jour, pour rien. Je crois que toute personne qui a connu un champ de bataille, et l’obus qui tombe ici et pas un mètre plus loin, le sait.

Je crois aux rencontres avortées qui auraient pu construire bien des rêves, mais qui ne se sont pas faites. Parce que ça n’était pas le bon moment. Je crois qu’on fait ce qu’on peut et qu’il manque quelque chose à l’équation : si tu ne triches pas avec ton rêve, l’univers te répondra. L’univers est capricieux, Pierrot.

Je ne crois pas que les choses sont comme elles devraient être. Et que c’est bien pour ça qu’il faut avoir un rêve. Un rêve qui s’occupe de la beauté du monde, puisque le monde est parfois bien négligent de sa beauté.

Voilà Pierrot, je ne sais pas si dans tes vagabondages sur la sphère virtuelle tu trouveras cette lettre, ces morceaux que je dépose au bord de la route en attendant que quelqu’un s’arrête.

Je te laisse avec deux chansons entre lesquelles je tangue :

C’est peut-être de Allain Leprest

La prière de Brassens

 

 

signature Sarah NB

Lettres sans réponse

 

Montréal, quelques heures après le précédent morceau

Salut Pierrot,

À la sortie du théâtre, j’ai entendu quelques personnes se questionner : « Bon alors c’est qui ce Pierrot ? Il chante ? Ah alors c’est un auteur compositeur interprète ! Un artiste, un vrai ! »

J’imagine que la chanson, vous l’avez pratiqué d’abord comme on panse un bobo avec ce qu’on a sous la main. Écrire, chanter, s’exprimer. Et puis partager. Alors les bars, et puis les scènes. Puis son propre bar, sa propre scène. Et puis… et puis quoi ?

Le partage qui devient une performance ? L’émerveillement qui se fane dans l’habitude ? Le chemin qu’on nous dit le seul : spectacles, albums, promo, affiches, démo, agent, presse…

Alors tu as ramené la chanson à la petite vie des gens de peu. Des gens qui ne vont pas forcément aux spectacles. Vous l’amenez comme les médecins de campagne dans le temps se déplaçaient avec leur trousse de médicaments. Une chanson sans billet de spectacle, sans diffusion, sans programmation, sans applaudissement.

Vous savez, c’est ça à l’origine, la musique et la poésie. Pour appeler les esprits, la pluie, pour se donner du courage avant la chasse ou la guerre ou avant la nuit de noces, pour accompagner les morts, pour soigner, pour consoler, pour partir ailleurs. Je suis partie pendant sept ans, treize fois, pour aller écouter les chansons des femmes à la rivière, au tapis, les chants du berger, dans les montagnes du Maroc. Mais vous savez quoi, Pierrot ? Leurs lanternes s’éteignaient. Ils ne racontaient plus, et chantaient bien moins. Bien sûr à force de me voir revenir, ils ont rallumé une belle lanterne. Trois jours durant, il y eut un feu de joie, un grand événement de poésie de contes de chants.

Mais je devais reprendre ma route. Et aujourd’hui le feu est éteint. On ne peut que rallumer le feu des autres, mais c’est à eux de l’entretenir, pas vrai ? Et notre feu à nous, qui va le nourrir ? Je me souviens de cette question :

« Est-ce que l’univers va s’occuper de moi comme je m’apprête à m’occuper des autres ? »

On s’en parle au prochain morceau !
J’ai bien hâte

 

 

Lettres sans réponse

 

Montréal, une nuit après le deuxième morceau

Bien cher Pierrot,

Vous avez décidé de tout perdre pour gagner l’essentiel. Vous marchez vos questions : « Qu’est-ce que j’ai fait pour mon rêve aujourd’hui et en quoi s’occupe-t-il de la beauté du monde ? » Vous n’avez pas de maison. Tout ce que vous portez sur vous – manteau, chapeau, chandail, bottes – on vous les a donnés. Vous n’avez que votre guitare et un cahier.

Alors Pierrot, vous ne risquez plus de perdre quoi que ce soit. Ni un chez soi, ni un travail, ni un espoir, même des amis. Puisque vous n’attendez rien et que vous cultivez l’éphémère. Vous n’avez même pas d’itinéraire à suivre, vous allez là où celui qui vous aura pris en pouce va. Enfin si, quand même … vous devez suivre le chemin de votre rêve. Réenchanter le quotidien des autres. C’est un chemin difficile. Car les tentations de la facilité sont partout.

Vous savez Pierrot, c’est devenu à la mode de présenter les itinéraires de grands voyageurs. Untel parcourt l’Afrique à pied, un autre ne dépense pas plus de 1$ par jour. Et tout le monde partage et tout le monde aime. À force d’en voir défiler, tous plus extrêmes et exotiques les uns que les autres, j’ai pensé que c’était trop lointain pour que la plupart des gens se sente concernée.

Mais vous n’êtes pas exotique, Pierrot. Parce que les gens vous connaissent et parlent de vous, ici et partout. Vous êtes parmi nous. Et puis parce qu’il importe peu que vous marchiez le Québec avec un case de guitare ou que vous rouliez dans une belle auto. L’important c’est ce que vous transmettez à tous ceux que vous rencontrez. On peut marcher son rêve sur une route, dans la montagne ou entre les tours d’un building. L’important est de ne se charger de rien d’autre que de ce qui nourrit son rêve. Faire en sorte qu’on ne puisse plus rien perdre.

Ne se charger
De rien d’autre
Que de ce qui nourrit
Mon rêve

 

 

Lettres sans réponse

Montréal, le lendemain du premier morceau

Bonjour Pierrot

Cette fameuse nuit… parce que c’est toujours la nuit que ce genre de chose arrive. À L’heure où le carrefour des petites préoccupations du quotidien est fermé. L’heure où il n’y a plus personne à appeler. C’est une nuit qui tourbillonne. Les objets qui nous entourent ont l’air d’inconnus familiers qui nous demandent ce qu’on fait là. C’est la nuit où toutes les vérités nous rendent visite, l’une après l’autre, chacun accompagnée de sa petite sœur, la peur.

Combien de temps les miroirs mentent avant que cette nuit n’arrive, Pierrot ? Que s’est-il passé cette nuit-là ? Un de ces petits événements qui font tout basculer ? Un enchaînement de petits riens qui ont fini par faire craquer la chaine ? Ça fait mal, hein Pierrot, quand nos chainent craquent. Quand on réalise qu’on ne mène pas la vie qu’on voudrait. Et qu’il faut partir. Briser ses chaines. Ne plus tricher avec son rêve.

Lettres sans réponse

Montréal, le 8 novembre 2015

Cher Pierrot,

On ne se connaît pas, mais je vous ai tout de suite reconnu. Vous n’étiez même pas là. Je veux dire, pas là physiquement. Mais pendant plus d’une heure, il ne s’agissait que de vous. De vous et de moi.
C’était il y a deux semaines, sur une scène de Montréal. Par la voix les mots et les yeux pétillants de Simon Gauthier, le conteur. Son spectacle Le vagabond céleste, c’Est vous. Enfin c’est un autre vous. Un Pierrot tricoté avec deux pelotes de laine : celle de l’imaginaire et celle du réel.

Dans la première partie du spectacle, Simon vous gonfle d’éther, et nous présente la légende du vagabond céleste. Un personnage de conte, de pur imagination. Puis il le fait descendre dans nos rues, le fait pousser la porte d’un bar et monter sur une scène. À la fin, il vous recoud de chair. Et vous voilà. Le vagabond céleste est une légende réelle. Vous êtes ce que chacun porte en soi.

L’histoire d’un homme qui a quitté sa vie qui ne lui ressemblait plus. Parce que parfois nos vies se mettent à n’en faire qu’à leur tête, à se maquiller et à n’être plus reconnaissable. Il a donc quitté sa maison, ses biens, ses comptes en banque, pour devenir vagabond. En errance poétique. Pour aller chercher la poésie du quotidien auprès des rêveurs, et la redonner à ceux qui ont perdu leur lumière. Offrir des chansons, comme un pont jeté sur la rivière de leur vie. Un pont qui mène sur l’autre rive. Vous savez, celle qui recule toujours. La rive de notre rêve.

C’est à un moment précis du spectacle que je vous ai reconnu. Et en vous reconnaissant, je c’est moi que j’ai reconnu. C’était le moment de cette fameuse nuit. Mais je vous en parlerai dans mon prochain bout de lettre.

entretien avec Simon Gauthier à écouter ici

Dans la loge de l'artiste

« Dans la loge de l’artiste » avec Simon Gauthier : transmettre la poésie du quotidien by Sarahroubato on Mixcloud

Depuis dix-huit ans, Simon Gauthier tricote ses histoires avec deux fils : la laine du réel et la laine de l’imaginaire. Alors quand on voit son spectacle, on ne sait plus ce qui est réel et ce qui est inventé. Comme le voyage en avion de Pierrot, et comme le Vagabond Céleste. Personnage mythique, authentique vagabond ? « Une légende réelle », dit Simon.

Du coup, les spectacles de Simon ne nous invitent pas seulement à nous évader pour mieux revenir à une morne réalité. Simon nous dit qu’on peut trouver des êtres merveilleux à deux portes de chez nous, oui là où nos pieds touchent terre. Que chacun d’entre nous a le potentiel de devenir un artiste du quotidien, et comme lui, de toujours s’étonner.

Le conteur est probablement l’artiste de scène qui voyage le plus léger et qui peut s’adapter à tous les lieux, à tous les auditoires, aux exclus et aux privilégiés. Simon aussi est un errant, mais attention, il y a plusieurs sortes d’errances.

Pour Simon, le merveilleux habite le réel. La preuve, par ce bout de conte qu’il nous offre en exclusivité quelques heures avant de l’essayer sur scène : celui d’un jardinier qui ne cultivait pas des fleurs…

Analyses

Publié dans Cassandre Hors Champ : 100 « De vents et de marées »

2012, année qui restera gravée dans l’histoire du Québec comme celle d’un éveil. Le Printemps Érable comme on l’a appelé, est un mouvement contestataire, parti d’une grève étudiante, qui a duré huit mois. Ce mouvement a déclenché des élections anticipées et la destitution du gouvernement libéral de Jean Charest. Gabriel Nadeau-Dubois, porte-parole d’une association étudiante, la CLASSE (Coalition large de l’association pour une solidarité syndicale étudiante), s’est fait remarquer comme l’une des figures de proue de ce mouvement. Depuis, le toujours-étudiant est en train de devenir une figure majeure du paysage politico-culturel et médiatique du Québec.

En novembre dernier, GND a reçu le prix du Gouverneur Général pour son livre Tenir tête, un essai sur le Printemps Érable et ses conséquences dans la société québécoise, devenant ainsi le plus jeune récipiendaire de ce prix qu’il a hésité à accepter (le gouverneur général étant le représentant de la reine donc de l’autorité fédérale du Canada). GND a remis les 25 000 $ qui accompagnent le prix aux mouvements citoyens qui luttent contre le projet d’oléoduc de Transcanada. Un projet qui consiste à faire acheminer les sables bitumineux d’Alberta par le fleuve Saint-Laurent, joyau naturel et culturel du Québec, l’un des plus grands fleuves du monde avec son bassin de drainage de 1 610 000 km2. GND a lancé un appel pour doubler la mise. En quelques jours, il a récolté 380 000$.

Comme le mouvement étudiant, le projet d’oléoduc soulève des enjeux politiques majeurs, et réveille la question de la souveraineté québécoise. GND l’a bien compris et c’est pour cela qu’il a décidé de s’engager dans ce nouveau combat. Ce jeune homme de vingt-quatre ans a des idées mais sait aussi que l’argent est le moteur des actions. C’est pourquoi son action risque fort de mettre un sacré frein, voire un frein définitif à ce projet. Lors de son annonce, GND a affirmé que c’est en posant d’abord des décisions souveraines que le Québec pourra marcher vers l’indépendance. Entretien avec celui qui redonne à beaucoup de Québécois de plusieurs générations la perspective d’une prise en main de leur avenir. Entretien en tutoiement, comme il se doit au Québec.

Qu’est-ce qu’il reste aujourd’hui du Printemps Érable, au-delà des retombées immédiates de l’arrêt de la hausse des frais de scolarité et de la destitution du gouvernement ?

 La première chose c’est l’effet d’éducation politique. Cette mobilisation a introduit à des centaines de milliers de personnes aux enjeux sociopolitiques. Et pas seulement des jeunes. D’autres générations qui s’étaient dépolitisées avec le temps ont renoué avec la chose publique, d’autres qui ne s’étaient jamais politisées se sont engagées pour la première fois.

L’autre chose c’est que certains enjeux ont été remis sur la place publique. Par exemple la question de la transformation des universités. Avant 2012 le seul discours sur la place publique était celui de la marchandisation des universités. En prenant prétexte du sous-financement, on introduisait l’investissement privé des universités. C’était le seul discours qu’on entendait depuis une dizaine d’années. C’était un vrai martèlement idéologique : « il faut entrer dans la compétition interuniversitaire, il faut rattraper les États-Unis et le Canada anglais ». La mobilisation a introduit une autre vision de l’éducation qui n’était pas audible, et a accéléré le clivage gauche-droite au Québec qui avait été effacé. L’enjeu pour le mouvement de 2012 c’était de construire un modèle québécois d’éducation supérieure basé sur la gratuité scolaire qui soit différent du modèle français ou du modèle scandinave.

On sait au Québec à quel point les Français connaissent mal les Québécois. En France, le pays des révolutions et des grèves, on a été très surpris de ce qui s’est passé en 2012, comme si les Québécois n’étaient pas perçus comme un peuple habitué aux révoltes. Est-ce que tu vois dans la société québécoise une hantise du conflit qui expliquerait notamment la difficulté d’avoir des débats et des perspectives critiques ?

 Ton impression est juste et s’explique par le statut des Québécois, un petit peuple noyé dans une mer anglophone. Il y a toujours eu le sentiment dans la culture politique québécoise qu’on est une famille, et qu’on n’a pas les moyens de se chicaner (se disputer) parce que si on le fait, on va s’affaiblir. J’ai ressenti ça en 2012 : ce qui dérangeait une bonne partie de la population qui était hostile au mouvement, ça n’était pas tant nos revendications, mais le simple fait qu’on était là, qu’on parlait, qu’on dérangeait, qu’on bousculait, qu’on ne retournait pas à nos petites affaires. Il y a cet espèce d’amour de la tranquillité chez les Québécois. Mais il y a aussi une tradition de lutte sociale au Québec excessivement riche. Le Québec reste l’endroit en Amérique du Nord, et de loin, où il y a le plus de mobilisation sociale. Depuis les années soixante il y a au moins deux mouvements étudiants par décennie. C’est le paradoxe d’un éthos politique assez tranquille, et une tradition très riche de syndicalisme combattif.

Un homme d’une cinquantaine d’années s’approche alors de notre table et tend la main à Gabriel. Rencontre éclair d’une seule phrase qui en dit long sur la désillusion, que nous connaissons aussi en France, des peuples envers leurs dirigeants, et qui mérite d’être citée : « Vous avez un admirateur, et je souhaite que jamais vous ne vous lanciez en politique ».

Qu’est-ce qui a émergé comme formes d’art lors du mouvement étudiant ?

Ce qu’il faut préciser d’abord, c’est que toute cette expressivité est arrivée relativement tard dans le mouvement, vers avril. La condition de possibilité de cette émergence artistique, c’était le travail pratique des militants sur le terrain. Donc cette sensibilité artistique est apparue parce qu’un espace de liberté a été ouvert, parce que les contraintes quotidiennes étaient abolies, et parce que la rue était devenue un nouvel espace d’expression. Ces espaces ne sont pas suffisants mais ils sont nécessaires pour que cette sensibilité artistique puisse s’exprimer.

Ces arts urbains ont alimenté un sentiment d’appartenance, une véritable identification et pour certains, un vrai sens à leur vie. Et c’était là une des grandes forces du mouvement, qui explique aussi sa résilience à la brutalité médiatique et policière, à la répression juridique et au fait qu’une bonne partie de la population était hostile au mouvement. C’est aussi ce qui a rendu si difficile l’arrêt de ce mouvement, par définition éphémère, mais encore aujourd’hui j’en entends qui cherchent à retrouver ce sentiment.

Justement une fois que le mouvement est fini : quelle est la place des arts dans une société du divertissement et du loisir ? Crois-tu qu’il soit possible que les arts soient porteurs de ce sentiment d’appartenance qui pourrait préparer à un projet de société ?

Au Québec, la culture est quand même bien plus présente et forte que dans le Canada anglophone. Les gens sont fiers de notre cinéma, de notre musique, et de tout ce qui est fait ici. 65% des produits culturels consommés au Québec sont faits au Québec. Au Canada, 85% des produits consommés viennent des États-Unis. C’est l’avantage de notre statut de minorité. Après c’est sûr que la culture ne se porte pas si bien, et que l’État doit valoriser et protéger la culture, surtout en région.

Même si les gens consomment leur propre culture, penses-tu qu’on soit à l’abri de la monoculture du divertissement, où les gens consomment leur produit culturel et passent à autre chose ? Donc de quelque chose d’où le sentiment d’appartenance et l’engagement citoyen est absent ?

C’est un phénomène réel. Et la solution c’est de donner le goût de l’art et de la culture rapidement. Et ça passe par l’éducation. Malheureusement notre système d’éducation prend la direction inverse. Il faut que dès le primaire l’école soit un lieu de culture au sens plein du terme : culture artistique, culture scientifique, culture intellectuelle. Il faut que l’école redevienne un lieu de culture plutôt qu’un lieu de formation. Je pense que c’est une des raisons pour lesquelles on s’est mobilisé en 2012. Si une institution publique comme l’éducation ne valorise pas la culture, c’est sûr que c’est perdu d’avance. Le goût de l’art n’est pas inné, ça s’apprend, comme on apprend à parler, à compter, à déguster un bon vin.

Radio Canada a subi cette année une nouvelle vague de coupures drastiques et de licenciements. On parle de la mort de Radio Canada. Qu’est-ce que tu en penses, toi qui y travailles depuis cette année comme intervenant dans une émission ?

Radio Canada est de moins en moins conforme à sa mission. Mais elle reste quand même bien au-dessus de ce qui se fait avant. Il y a quand même un espace de discussion et de culture. Sans Radio Canada il y a tant d’artistes dont on aurait jamais entendu parler.

Alors vu l’état de la presse, de l’éducation, de la culture, la solution part d’où selon toi ? Du gouvernement ou bien des comportements individuels ? Si on prend par exemple la presse, les gens ne veulent plus acheter des journaux et on sait bien que cela joue beaucoup dans la disparition de journaux indépendants.

C’est vrai que les comportements individuels sont à changer. Mais on ne peut pas tout faire reposer sur des efforts individuels que tout le monde n’a pas les moyens de poser. Au final, ce qui est déterminant, c’est la volonté politique.

Est-ce que ton engagement irait du côté de la politique ?

En ce moment je suis un étudiant qui intervient dans certains médias qui sont pour moi des tribunes pour faire avancer des idées. Mon engagement politique va continuer c’est sûr, mais je ne sais pas quelle forme ça va prendre.

Est-ce que notre génération n’est pas condamnée à des actions qui seront toujours des oppositions au système libéral et capitaliste qu’on nous impose ? Serons-nous la génération qui aura dû faire le ménage pour poser les bases d’une autre société ?

Je pense que dans tout refus il y a une valeur positive. En refusant le projet d’oléoduc, on freine l’expansion des sables bitumeux, donc on contribue à freiner le changement climatique à l’échelle globale. Car refuser la destruction de l’environnement c’est le protéger. Empêcher la privatisation du service public c’est le renforcer. Il va y avoir beaucoup de luttes défensives à mener. Ça n’est sûrement pas suffisant, car il va falloir être capable d’articuler un projet positif et de proposer un projet politique. On est la première génération où ce projet est à repenser. Nos parents avaient le choix entre deux systèmes déjà définis, le capitalisme et la sociale démocratie. Nous n’avons pas le luxe de ces utopies politiques parce que nous vivons dans un monde où un seul système domine. On vit avec le double échec du communisme et de la sociale démocratie. Il nous reste tout à inventer.

Pendant que les Français dissertent sur la légitimité de leur président et sur les conséquences de l’affaire du barrage de Sivens, les Québécois sont allés au bout de leurs combats. Qu’on se le dise : une grève étudiante qui déclenche un mouvement social, un mouvement social qui entraîne un changement de gouvernement, une résistance à un projet massif de destruction de l’environnement qui trouve les moyens de sa lutte grâce au livre d’un jeune homme de vingt-quatre ans. La France, pays des Lumières, des révolutions et des grèves constantes, puissance mondiale en perte de vitesse et en crise identitaire, a peut-être beaucoup à apprendre de ce petit peuple sans pays. Il serait temps de rattraper notre ignorance sur nos cousins nord-américains qui sont décidément autre chose que des comédies musicales et des chanteurs à l’accent folklorique.

Ce qui nous arrive

Cet été aura été marqué dans notre quotidien médiatique par les horreurs qui se déroulent à Gaza. Tous les médias sont sur le qui-vive, les médias sociaux diffusent les pires images et vidéos d’enfants tué, mutilés, de mères hurlant et se frappant la poitrine. Les juifs et les musulmans du monde entier se prennent en photo pour montrer leur amour réciproque, deux fillettes palestiniennes protestent en affichant « Hug a terrorist » à Toronto. Qui n’a pas réagi ? Avec sa colère et son message de paix. Magnifique exemple de solidarité entre êtres humains.

Pourtant, chez nous, sur notre territoire, un autre peuple subit depuis…plus de trois cents ans l’occupation de leur territoire, l’humiliation, le contrôle de leurs vies. Il y a deux semaines, les Anishnabe de la réserve faunique de la Vérendy, à 300 km de Montréal, passaient en cour contre les coupes sauvages de compagnie Louisiana Pacific. Les médias qui ont couvert cet événement se comptent sur les doigts d’une main. Quelques lignes, et des photos avec une poignée d’Amérindiens faisant barrage pour empêcher…pour empêcher quoi, au fait ? Qu’on coupe des arbres ? Qu’on détruise un territoire ?

 

Par quel procédé étrange sommes-nous plus touchés par la cause des Palestiniens que par celle des Amérindiens ? Bien sûr la mise à mort des Amérindiens fait moins de bruit. Ici pas de bombes. Seulement le discret enlèvement de 20 000 enfants entre les années 60 et 80, l’interdiction de parler leur langue. Ici les femmes pleurent en silence leurs enfants enlevés, leurs filles violées, ayant perdu leur langue, leur dignité. Condamnés au bannissement sur leurs propres terres. La mise à mort se fait lentement, proprement. Par la perte de la langue, l’assistanat. Alors ils accélèrent le processus, ils en ont marre : ils boivent.

Non, décidément, cela n’a rien à voir. On ne peut pas comparer le grand mur aux réserves, les morts si rapides à la lente destruction d’un peuple, le non respect des accords au non respect des accords. La haine qu’on croit raciale ou religieuse à la bienveillance paternaliste du Blanc sur les enfants Amérindiens qui sont assignés à résidence moyennant des aides sociales – c’est à dire un assouvissement total. La négation d’un droit à un État à la lente confiscation de ce qui fait un peuple libre, autonome, des humains dignes.

Ce qui est en jeu dans cette coupe d’arbres, c’est non seulement l’asservissement d’un peuple, mais aussi notre rapport à ce qu’on appelle pudiquement l’environnement, qui est tout bonnement ce qui nous fait respirer, boire et manger. C’est aussi l’intégrité de notre nation, de nous canadiens, québécois, et plus loin, en tant qu’humains, notre capacité à nous préoccuper de ce qui se passe ici et maintenant. Trois combats en un, disponible ici, chez nous.

Bien sûr, c’est plus confortable de se battre pour un conflit qui se déroule à l’autre bout du monde. Pour ceux qui souhaitent continuer ce combat, sachez que les Tibétains et les Congolais subissent un génocide depuis des décennies, le Congo ayant atteint le fameux chiffre de 6 millions de morts. Et 1,2 millions de morts pour les Tibétains. L’horreur ne se mesure pas aux chiffres, et on ne peut pas défendre tout le monde. Au Tibet ou au Congo, il n’y a pas de médias, pas de pétrole, pas d’enjeux internationaux. Pas de quoi nous expliquer que c’est important. En effet, l’horreur se mesure plutôt à l’indifférence dont nous sommes capables, et peut-être, au choix que nous faisons chaque jour de considérer que tel peuple a droit à notre empathie, et tel autre à notre indifférence.

Des juifs canadiens affirment avoir honte de ce que fait Israël. Qui aura honte pour le peuple canadien ? Est-ce que trois mille personnes se rassembleront pour défendre les Amérindiens ? Est-ce qu’un boycott sera organisé pour bloquer les produits de Louisiana Pacific et des autres compagnies ? Ici et maintenant, nous pèserions tellement plus.

Chacun de nous choisit ses combats. Tous se valent, tant qu’il y aura de l’injustice et de l’humiliation. Pourtant, celui qui défend une cause silencieuse mène deux combats. Et celui qui se bat pour ce qui se passe chez lui prépare le demain de ses enfants. Si nous sommes trois milles pour les Palestiniens, soyons deux fois plus nombreux pour les peuples qui s’écorchent aux barbelés du silence. Et soyons dix fois plus nombreux quand ce silence, c’est le nôtre.

 

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Ce qui nous arrive

 

Le festival annuel des Weekends du Monde vient de s’achever au parc Jean Drapeau. Un festival qui vous propose « un tour du monde gratuit » pour découvrir « toute la richesse culturelle des diverses communautés venues s’établir ici », à Montréal. Pourtant, à bien regarder la programmation, ce sont les weekends d’un certain monde qu’on nous présente chaque année.

La richesse culturelle de certaines communautés

Étalés sur deux fins de semaine, les montréalais ont pu assister à quatorze mini festivals présentant les cultures suivantes : jamaïcaine, cambodgienne, européenne, de Trinité et Tobago, africaine, haïtienne, électronique des Tropiques, mexicaine, salvadorienne, péruvienne, cubaine, brésilienne, dominicaine et colombienne. Tandis que sept festivals déclinent sept pays d’Amérique latine, l’Europe et l’Afrique se trouvent représentés chacun dans un seul événement.

Nous sommes en fait bien loin de la représentativité de la diversité culturelle montréalaise. D’après les derniers recensements officiels de 2006 et 2011, la population d’Amérique latine représente 10,3% des immigrants montréalais, derrière l’Asie et le Moyen-Orient (31,9%), l’Afrique (28%) et l’Europe (21%) (statistique Canada, Enquête nationale de 2011). En 2011, la plus grande vague d’immigration était constituée de Chinois, d’Algériens et de Marocains. Au final, ce sont toujours les Italiens qui représentent la plus grosse part de la population immigrante (7,4%), suivis par les Algériens, les Marocains, les Français et les Chinois. Les Colombiens représentent 2,6% des immigrants, les Brésiliens 1,4%, les Cubains 0,6% et Jamaïcains 0,1%.

Bien sûr, me direz-vous, un festival culturel n’est pas censé suivre les chiffres démographiques. Seulement quand un festival prétend refléter la diversité culturelle d’une ville, il affiche un projet social et politique et contribue à la vision que les citoyens ont de cette diversité culturelle. Les Chinois ne seraient-ils bons que pour les dépanneurs, les Italiens pour les pizzerias (en l’occurrence cette année, la seule présence italienne était celle de l’auto Ferrari devant laquelle les gens pouvaient se faire prendre en photo) ? Quant aux Français, ils ne font pas partie de ce qu’on veut appeler la diversité culturelle. Alors que les Latinos…ça fait danser. Clichés bien sûr, exagération sans doute, et pourtant…

Un monde déformé

Dans l’allée centrale, les Latinos sont évidemment majoritaires à présenter leur cuisine et artisanat. En prenant le petit pont vers la partie boisée, on ne met pas longtemps à comprendre que cette partie excentrée est réservée aux Africains. Les Africains qui comme toujours, se font tous mettre dans le même sac. À croire que l’Afrique, ce serait un pays. Le festival Afro-monde Ngondo présente ainsi « les rythmes de la musique africaine ». Quant à l’Eurofest, « la grande célébration des cultures européennes à Montréal », il présente exclusivement des musiques d’Europe de l’Est : Balkans, Ukraine et Moldavie.

De l’exotique avant toute chose

Avant la création des Weekends du Monde, le parc Jean Drapeau accueillait des festivals latinos comme le Festival international du Merengue et de la Musique Latine de Montréal. Que ce lieu soit un point d’ancrage pour des événements de musique latine, cela peut expliquer une forte présence latine. Mais dans ce cas, pourquoi se présenter comme le reflet de toute la diversité montréalaise ?

Comme beaucoup d’événements montréalais prônant la diversité culturelle, les Weekends du Monde mettent à l’honneur l’exotisme. La programmation nous promet des « rythmes folkloriques, des défilés endiablés, des voitures exotiques, des objets exotiques, des boissons rafraîchissantes et colorées ». Or, de par la proximité géographique, ce sont bien les Latinos qui canalisent le besoin d’exotisme des québécois. Soleil, rythmes, couleurs, sensualité. Un orientalisme à la nord-américaine. Ce type d’événement se situe dans la lignée des expositions universelles du 19ème siècle. Bien sûr on est loin de la mise en cage des humains. Mais la mise en scène de l’autre en carte postale est toujours là.

Enfin quoi c’est juste un événement culturel, c’est pour s’amuser ! Confinés dans la vitrine du divertissement, les festivals culturels font oublier qu’ils sont des événements sociaux et politiques qui mettent en jeu notre modèle d’intégration sociale, car ils reflètent notre manière d’inclure l’autre à notre société. À nous consommateurs, organisateurs et artistes, de penser à ce que nous fabriquons. Les artistes immigrants font ce qu’ils peuvent, ils acceptent les vitrines pour promouvoir leur travail. Il ne serait pourtant pas interdit pour les artistes de prendre conscience du projet social auquel ils participent.

La culture ne se met pas en spectacle, car la culture n’est pas un produit. Elle est un vécu. Elle ne se loge pas que dans les vêtements colorés, les grillades et les objets, mais bien ailleurs, dans une conception de l’univers, du temps, du rapport entre les hommes et les femmes. C’est bien cela qui constitue la véritable richesse culturelle de Montréal. À quand un festival où les Latinos auraient le droit de nous faire pleurer, où les Chinois seraient aussi des gens à voir sur scène, où la France et l’Italie seraient aussi européens que les Ukrainiens ou les Gitans, et où l’Afrique ne serait plus un pays ?

En attendant, dansons, c’est l’été.

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Ce qui nous arrive

16h un soir de semaine. Alexandre rentre seul chez lui. Il se sent fier. Maintenant il est grand, il est capable de rentrer seul. Au croisement de deux rues, les lumières viennent de virer au rouge pour les autos, qui sont toutes arrêtées. Le petit bonhomme blanc est allumé. Une jeune femme est en train de traverser devant lui. Il se met à traverser. « Non toi, tu attends que je passe ». Le brigadier scolaire avec son chandail jaune fluo devance le garçon, son petit panneau « Arrêt » tendu au-dessus de sa tête. Alexandre se demande à quoi ça sert, puisque toutes les autos étaient déjà arrêtées. Et puis pourquoi la dame devant, elle peut traverser toute seule ? Pourquoi le monsieur il fait pas attention à elle aussi ?

Le soir à table, Alexandre pose la questions à ses parents.

« Le brigadier il veille sur toi pour que les autos fassent attention.

– Mais les autos elles s’arrêtent même quand y’a pas d’enfants !

– Oui mais parfois il y a de mauvais conducteurs qui ne s’arrêtent pas. C’est pour ta sécurité, mon chéri.

– Et la sécurité de la dame ?

– La dame elle est adulte. Allez vas ranger ta chambre comme un grand. »

Alexandre ne comprend pas. Mais quand les adultes ont dit qu’une chose est comme ça, c’est pas la peine de demander pourquoi. Les enfants, ça remet toujours en question les évidences.

Ce qui est nécessaire ici ne l’est pas forcément ailleurs

À Montréal, les allées et venues du brigadier scolaire semblent parfois sortir d’une farce. Bien souvent il suit à petits pas les enfants qui se sont déjà engagés sur le passage clouté, alors que les autos sont déjà arrêtées. On peut comprendre l’utilité des brigadiers sur les routes de campagne, à des croisements sans lumières, ou à un tournant où les autos ne peuvent pas voir en avance les piétons. Dès lors qu’un comportement utile dans une situation donnée est tiré de son contexte et appliqué sans réflexion, cela donne une habitude, un symbole qui rassure, mais qui ne sert à rien. Ou presque.

La sécurité vient de l’extérieur

Sur le site du Centre d’assurance automobile du Québec, on trouve la définition suivante : « La mission d’une brigade scolaire consiste avant tout à sensibiliser les enfants du primaire à la prudence, dans la cour d’école, en autobus scolaire et dans la rue. » La mission est claire, il s’agit de transmettre la prudence. La prudence, et non la responsabilité. Nous envoyons constamment à nos enfants le message que le monde est plein de dangers, et qu’ils doivent s’en remettre aux adultes pour assurer leur sécurité : ne vas pas trop loin, ne grimpe pas à l’arbre tu vas tomber, fais attention quand tu cours. Pour cela, on leur confectionne des lits avec des barreaux, tomber, des fourchettes en plastique pour ne pas se piquer. Petits on les attache à une corde quand on les sort dans la rue. On poste un gardien à la sortie de l’école qui communique par talkie walkie pour le rejoindre ses parents ou sa gardienne. Les enfants sont des irresponsables qui ne sont pas capables d’évaluer le danger par eux-mêmes. On leur apprend qu’il y aura toujours quelqu’un pour y veiller.

Cette obsession n’est pas répandue dans tous les pays. En Europe, les enfants en garderie se donnent la main deux par deux pour aller dans la rue. À la sortie des écoles, quand un enfant reconnaît son parent il le dit à la personne à l’entrée qui le laisse sortir. En Suède, les écoles sont mêmes sans gardiens car les enfants sont entièrement responsabilisés, ils rentrent seuls car l’école finit très tôt en journée. Bizarrement, la Suède ne souffre d’aucun raz-de-marée d’insécurité dans les écoles ou d’accidents impliquant les enfants. S’il nous est impossible d’envisager que les enfants soient co-responsables de leur sécurité, avec l’auto qui s’arrête, c’est parce que nous avons fait des enfants des êtres à part.

Les enfants d’abord, les enfants à part

Nos enfants sont élevés dans un monde à part dès leur plus jeune âge. Comme si l’insouciance de l’enfance allait être brisée si l’enfant était intégré trop vite au monde des adultes. Les enfants du Maghreb, d’Afrique ou du Moyen Orient jouent, rient et imaginent tout autant que les petits canadiens, seulement ils ne sont pas considérés comme des êtres à part. Ils sont les membres actifs d’une famille, d’un village, d’une communauté. Ils mangent dès le sevrage la même nourriture que les adultes, ils ont des responsabilités autres que de ranger leur chambre et leurs jouets, ils doivent parfois rapporter un outil de travail dont le père a besoin, ou aider grand-mère à se relever. Les seuls qui dérogent à cette règle sont les enfants des classes très riches qui ont des domestiques pour s’occuper de tout.

L’idée même que les enfants sont les êtres les plus précieux d’une société n’est pas universelle. Dans beaucoup de cultures, les Anciens sont considérés comme un bien plus précieux que les enfants, parce qu’ils détiennent un savoir, une sagesse, et reçoivent tous le respect dû à quelqu’un qui est parvenu jusqu’à un certain âge. On pourrait se demander ce qu’ils penseraient de nos vieux enfermés dans des maisons, isolés de leur famille, et divertis par des animations. Mais ceci est un autre problème…ou peut-être le même. Nous cultivons l’art d’isoler et de rendre dépendants des êtres que nous jugeons faibles et à protéger. Drôle de façon de leur dire qu’on les aime.

Serait-il possible de doser nos valeurs et d’appliquer le bon sens, pour arriver à une protection sans mise à l’écart, à une sécurité par la responsabilisation ? Nos enfants sont de petits êtres, mais des êtres entiers quand même. Parce que nous les aimons, nous pourrions les rendre indépendants et forts, capables d’évaluer les dangers d’une situation, de tourner la tête à droite à gauche, de vérifier qu’il n’y ait pas d’autos. Alexandre n’en sera pas moins un enfant, mais un enfant fier.