Les veillées

Il y a une proposition artistique, mais ce n’est pas un spectacle. Il y a de la discussion, mais ce n’est pas un cercle de parole. Il y a de la discussion, mais ce n’est pas un débat. Qu’est-ce qu’une veillée ? C’est une rencontre qui propose un autre dispositif de rencontre que celle de la consommation culturelle d’un spectacle, d’une conférence ou d’un débat. Elle réunit un petit nombre de personnes dans un lieu du quotidien autour d’une thématique choisie par un passeur qui invite l’artiste. Chaque passeur de veillée choisit ou crée une thématique selon ce qu’il souhaite partager, interroger, secouer peut-être, avec les personnes présentes.

Des spectateurs acteurs

La discussion ne se fait pas à la fin de la performance artistique comme un commentaire, mais au milieu pour la guider et la nourrir. Autour de la parole partagée, le nous qui se construit devient le centre de la soirée. Les uns constatent, les autres envisagent, d’autres encore questionnent. Chacun peut déplier ce que la proposition artistique suscite de questionnements, de doutes, d’envies, de peurs, et comment elle résonne dans un vécu. Nous essayons de retrouver le lien entre proposition artistique et nos vies quotidiennes, entre l’expression de nos sentiments et leur incarnation dans le réel, entre une représentation de la société et ce que nous en faisons.

Le passeur de la veillée est rarement un professionnel de la diffusion de spectacle. C’est un lecteur, un auditeur, un spectateur, qui permet un artiste et à un public de se rencontrer. Ce soir, c’est lui qui propose. Un artiste, une démarche, une thématique, une autre manière de réunir des personnes qui ne se fréquentent que dans un contexte professionnel, amical ou familial donné. Le passeur est celui en qui les gens ont confiance.

L’expérience de l’écoute

La domination du visuel dans nos vies est une donnée anthropologique qui aura une grande influence sur notre rapport au monde et sur notre capacité à faire société. Avec elle vient un rapport au monde dominé par l’affichage, l’apparence, et une expérience du monde moins charnelle (voir Éloge de l’oreille / Éloge de la nuit). Recréer des événements qui placent l’écoute et la parole au coeur de l’échange est salutaire.

Aujourd’hui, lorsque nous nous réunissons autour d’une proposition artistique, il y a toujours du visuel : nous allons voir un concert, une lecture de textes, un film au cinéma, une exposition, ou encore un spectacle.  Dans un film, nous sommes projetés dans une réalité où nous allons, et quand le film est fini, nous revenons à notre réalité. Quand on écoute la voix de quelqu’un, c’est la personne qui vient dans le salon avec nous. L’identification est toute autre.

Dans les veillées, lorsque vient le moment d’écouter le portrait sonore, c’est une expérience insolite, car nous ne sommes pas dans le noir. Nous sommes en présence les uns des autres, par nos corps, nos visages et nos regards. Ensuite nous partageons une parole où on s’écoute les uns les autres à partir de l’écoute collective.

Les lieux

Tout lieu peut accueillir une veillée, mais surtout les lieux d’habitat et de travail. Un salon, une grange, une boutique, un fournil de boulanger. Un lieu du quotidien  redevient un lieu d’expérience sociale. Dans ces lieux, l’artistique va forcément s’exprimer autrement. réinvestit le quotidien.

Un acte politique ?

C’est une question qu’on m’a souvent posée. Quand l’expression artistique se fait en dehors de la consommation de loisirs, elle redevient une proposition politique. Car rassembler des gens autrement pour se pencher sur leur rapport au monde, c’est bien la forme première de l’agora. La prise de parole peut être réservée, distante, intime ou à fleur de peau. Parfois elle coule, parfois elle trébuche. C’est qu’il nous faut réapprendre à nous poser, et à nous parler.

La nécessaire diversité

« Comme les participants sont tous différents, ils ne peuvent pas se comparer. Donc ils ne sont pas dans la peur. N’étant pas dans la peur ils ne sont pas dans l’ego, donc ils s’écoutent. » Elie, faiseur de petits nous

Dans les veillées, on essaye d’éviter l’entre-soi. plus le public est varié plus l’échange est de qualité. L’idée est d’exprimer sa singularité mais d’être aussi à l’écoute de celle de l’autre.

Où sont passés les hommes ?

En 300 veillées données, le constat est sans appel : les hommes se font rares à ces veillées. Un passeur pour vingt-cinq passeuses, deux hommes pour quinze femmes dans le public. À vos interprétations !